Avec des artistes de la génération des réseaux sociaux, le Musée d’art moderne de la Ville de Paris explore des formes de création qui redessinent l’espace artistique
PARIS - C’est l’homme de la Génération X, Douglas Coupland, qui l’affirme : « Les machines parlent de plus en plus souvent entre elles dans votre dos. » Message d’alerte ou simple constat ? Sans doute s’agit-il un peu des deux. La phrase est inscrite en gros caractères sur le mur d’un espace divisé par des parois de verre, comme un lieu de travail en commun dans lequel la transparence serait donc de mise avec pour conséquence, par le jeu des échanges subis ou consentis, de générer des émulations ou d’infuser peut-être sur la production des voisins.
Au Musée d’art moderne de la Ville de Paris l’exposition « Co-Workers. Le réseau comme artiste » tombe à point nommé. Vingt ans après les débuts de l’accès du grand public à Internet et à la téléphonie mobile, à une époque où l’information – d’ordre public ou privé – circule en flux constant, sur des réseaux sociaux notamment, il est bien vu de s’intéresser à un élargissement des frontières et pratiques du monde de l’art. Sont donc conviés des artistes pour la plupart nés dans les années 1980 qui, tout en dressant le constat de nouveaux modes de travail, d’une nouvelle appréciation de l’espace public comme lieu de réflexion ou de production, d’un autre rapport à l’intimité ou à la biosphère et de l’apparition (donc de nouvelles formes de communautés de création), s’interrogent sur les moyens de donner une physicalité à Internet que l’on ne maîtrise pas, mais qui structure toujours davantage notre expérience sociale. À ce jeu-là, les vidéos façon YouTube de Ryan Trecartin qui, certes décrivent assez justement une génération des réseaux et de la téléréalité, finissent par devenir irritantes en extrapolant systématiquement l’exposition de soi en une apparence stupide ou hystérisée.
Processus de création réinventés
La mise en scène de la manifestation a été assurée par le collectif new-yorkais DIS, qui travaille sur de multiples plateformes et est ici l’auteur d’une spectaculaire installation. Graphique et attractive, combinant un bloc de cuisine avec une douche couchée – qui existe véritablement et a été mise au point par la firme Dornbracht –, The Island (KEN) (2015) semble synthétiser une autre approche des sensations physiques et des contacts à l’ère de la connectivité.
De nombreuses productions artistiques de cette période, marquée par la désincarnation et la dématérialisation, semblent montrer que l’objet demeure têtu et ne manque jamais de refaire surface d’une manière ou d’une autre. Aux artistes donc de tenter de trouver des solutions viables afin de continuer à nourrir le terrain de l’objectivation. Ainsi David Douard pense-t-il ses sculptures et installations comme l’aboutissement d’un processus de transmission, porté par l’éventualité de restituer sous forme d’objets des choses qui n’en sont pas.
Avec le lissé caractéristique d’un produit parfaitement « marketé » afin de répondre aux désirs de la consommation, Timur Si-Qin propose une installation finalement iconoclaste : de hautes colonnes auxquelles sont suspendus des sacs de sport contenant des pierres et des bouteilles d’eau, sorte de caillou dans la chaussure de la perfection et du bien-être (The Struggle, 2012). Aude Pariset, elle, imprime ses « images » sur des matériaux fort divers – textile, papier, céramique – prenant des formes qui sont tout sauf un rectangle plat. Remarquable est également la vidéo sur écran circulaire du collectif GCC, originaire du golfe Persique, qui introduit le spectateur dans un intérieur où se télescopent plusieurs mondes le charme d’une demeure ancienne convertie aux nécessités du paraître contemporain (L’Air du temps, 2015).
La question que n’aborde pas ouvertement cette exposition et qui pourtant se pose – et se posera sans doute avec plus d’acuité encore dans le futur – est de savoir si « le réseau comme artiste » induit, assimile et accepte une part de passivité dans le processus de création – et donc éventuellement de perte de contrôle relative –, à l’image de ce qui échappe dans la transmission continue et accélérée qui touche tout un chacun, les artistes y compris ?
Commissariat : Angeline Scherf, Toke Lykkeberg et Jessica Castex
Nombre d’artistes : 31 les artistes auteurs des vidéos dans The Island
Nombre d’œuvres : 34 œuvres celles incluses dans The Island
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Les frontières extensibles de la création artistique 2.0
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 31 janvier, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11, avenue du Président Wilson, 75116 Paris, tél. 01 53 67 40 00, www.mam.paris.fr, tlj sauf lundi 10h-18h, jeudi 10h-22h, entrée 7 €. Catalogue éd. Paris Musées, 144 p., 29 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°444 du 30 octobre 2015, avec le titre suivant : Les frontières extensibles de la création artistique 2.0