Paris

Les fossilisations photographiques de Raoul Ubac

Un ensemble de tirages d’époque peu connus

Le Journal des Arts

Le 1 juin 1995 - 620 mots

On connaît Raoul Ubac pour ses gravures, ses ardoises taillées des années cinquante et soixante. La galerie Bouqueret Lebon rappelle qu’il a été photographe jusqu’en 1945, avant de passer à la peinture, et qu’à cette époque, il avait été très lié au Surréalisme.

PARIS - Né en 1910 et formé comme photographe, Raoul Ubac a produit pendant plus de dix ans des images qui visent davantage à la déstabilisation de la photographie qu’à la louange de l’image propre, nette et immédiate qu’on veut y voir habituellement. C’est ce que montre la galerie Bouqueret Lebon, avec un ensemble de tirages d’époque peu connus.

L’activité de Raoul Ubac dans les années trente est celle d’un artiste-photographe surréaliste, confiant à ce seul médium la production d’images conformes aux principes du Surréalisme, sur lesquels veille Breton ; elles illustrent des articles de celui-ci, ou de Mabille, dans Le Minotaure. Mais, déjà, elles semblent s’éloigner du dogme et fournir matière au débat que nourrissent les surréalistes à propos des images, avec cette ambiguïté continuelle et entretenue entre l’image visible et l’image poétique. Les propositions de Raoul Ubac caractérisent cette hésitation qui se fait jour entre le mot et la matière, entre l’identification verbale et la suggestion.

S’il s’adonne au gros plan, au tirage en négatif et à des effets proches du rayogramme, qui sont assez courants à cette époque, il se révèle plutôt dans la construction de nouvelles figures, dans l’élaboration de corps énigmatiques incertains et entraperçus au milieu de matériaux divers. Le travail tend d’abord des fils entre la pierre et le corps : entre Pierres de Dalmatie (1932), qui repère des formes curieuses ou élabore des sculptures hétérogènes, et les Photomontages de 1937, qui construisent de toutes pièces (bois, cailloux, grillage) des corps mécano-métaphysiques désarticulés à la Chirico, en leur donnant une parcelle de vie par l’insertion de fragments photographiques de corps humains.

Procédés para-photographiques
Mais c’est dans le matériau même de la photographie (la couche de gélatinobromure d’argent et son support) qu’Ubac trouve le moyen de pétrifier, de fossiliser des effets de lumière : le photomontage de plusieurs nus féminins, imbriqués et juxtaposés, traité ensuite par inversion négative et solarisation, donne cette impression de bas-relief, de mur de plâtre ou d’enduit rugueux, qui aurait reçu des empreintes corporelles, successives et désordonnées, comme des souvenirs de corps à corps intempestifs : c’est la série des Combat des Penthésilées (1938-1939), suite très homogène parfois déclinée en Relief ou Mur sans fin (1938).

Les procédés para-photographiques mis en œuvre par Ubac sont évidemment à la limite du surréalisme canonique, et tendent à renouveler les recettes de l’automatisme poétique un peu essouflé, en proposant de nouveaux moyens de création d’images qui ne seraient pas le pur décalque ou la citation auquels se voue la photographie. Ubac manipule la matière de l’image, montrant par là de quoi sont réellement faites les images, et ce ne sera sans doute pas sans incidence sur son éloignement du Surréalisme et sur son passage à la peinture et au relief en 1945. Car il agissait déjà "dans l’épaisseur".

La célèbre Nébuleuse (1939) montre un corps féminin se diluant dans la surface photographique, jusqu’à prendre par endroits l’apparence laiteuse et échevelée d’un objet cosmique. Ubac obtient ces effets par chauffage et brûlage du négatif : la Face pétrifiée (1939), autre référence au corps et à la pierre, fossilisation artificielle obtenue "sans image" par la seule action de la chaleur sur la matière, fait déjà penser aux otages de Fautrier. L’image s’est absentée pour revenir, paradoxalement, par la fenêtre de l’abstraction.

"Raoul Ubac", Galerie Bouqueret Lebon, 69, rue de Turenne, jusqu’au 30 juillet. Ouvert tous les jours de 14 h à 19 h, sauf les dimanche et lundi. Tél. 40 27 92 21

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°15 du 1 juin 1995, avec le titre suivant : Les fossilisations photographiques de Raoul Ubac

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