Les foires d’art contemporain : le club des cinq

Bâle, Cologne, Chicago, la Fiac et l’Arco Madrid

Le Journal des Arts

Le 1 janvier 1997 - 1910 mots

La réunion de dizaines de galeries et de milliers d’œuvres permet au collectionneur confirmé, tout comme à l’amateur ou au curieux, de flâner, de regarder, de poser des questions et de comparer. À une époque où les galeries, se remettant péniblement de la grande crise de 1990, sont moins fréquentées, les foires jouent un rôle primordial sur le marché de l’art contemporain. Pour mieux se défendre, les cinq plus grandes foires du monde se sont regroupées en juin 1996 au sein d’une association, l’Icafa (Association internationale des foires d’art contemporain) qui, dotée d’une charte, se veut \"garante de soutien et d’encouragement... en partenariat avec des galeries compétentes, engagées et sérieuses.\" Le Journal des Arts a interrogé les présidents des foires membres de l’Icafa sur leur histoire, leur vision du marché et leurs ambitions .

BÂLE : L’INCONTOURNABLE
Foire majeure d’art contemporain donnant un rayonnement international à la Suisse, Art Basel s’intéresse aussi bien aux classiques de l’art moderne, représentés par les galeries américaines et européennes les plus importantes, qu’à la création contemporaine : chaque année, elle subventionne 25 jeunes galeries organisant des expositions individuelles d’artistes peu connus. Depuis dix ans également, la foire réunit une vingtaine des principales galeries spécialisées dans la photographie – Lunn, Paviot, Schickler et Stockeregg... – et se distingue par l’importance accordée à l’art vidéo, aux grandes sculptures et aux installations. Les prix des œuvres vont de quelques centaines à 50 millions de francs.

Fondée il y a 27 ans par trois directeurs de galeries bâlois, avec cent exposants, rien, en principe, ne prédestinait Art Basel à devenir le rendez-vous incontournable des professionnels du marché. Or, ayant opté, dès ses débuts, pour le plus grand rayonnement international, la foire a connu une expansion aussi rapide que continue. Occupant quelque 37 000 m2, Art Basel attire jusqu’à 50 000 visiteurs. L’édition 1996 a rassemblé 250 exposants, dont 85 % d’étrangers. "Une foire doit aussi éduquer les gens, leur fournir une approche à l’art," estime, philosophe, Lorenzo Rudolf, qui préside Art Basel depuis cinq ans, avant d’ajouter avec fierté : "Le ministère de l’Intérieur allemand et la Deutschebank achètent chez nous. Des collectionneurs américains nous rendent visite depuis la première année. "Un comité de sélection composé de dix directeurs de galeries veille sur l’authenticité des œuvres, et les participants sont choisis dans une liste de 600 candidats. "Le marché doit faire preuve de sérieux et, en même temps, la foire doit montrer une certaine vivacité. Il serait très dangereux pour Art Basel de devenir trop muséal," estime Lorenzo Rudolf.

COLOGNE : LA DOYENNE
Le succès rapide d’Art Köln, créée voici trente ans par seize marchands locaux, lié au refus de ses organisateurs de s’ouvrir aux exposants étrangers, a largement contribué à la création d’Art Basel, de la Fiac à Paris et du salon de Düsseldorf, qui a fusionné avec Art Köln en 1978. C’est la plus ancienne des foires internationales et celle qui accueille le plus grand nombre d’exposants, le rendez-vous annuel de 80 000 amateurs allemands, néerlandais, belges et des grands collectionneurs internationaux. La foire de Cologne – dont la prédominance en Allemagne vient d’être défiée par le tout nouveau European Art Forum, qui s’est tenu fin octobre à Berlin – privilégie la création contemporaine : seuls sont admis les marchands qui travaillent directement avec les artistes. Victime de son propre succès, Art Köln a même été obligée l’an dernier, afin d’éviter l’étouffement, de ramener le nombre de ses exposants de 348 à 278, dont près de la moitié étaient étrangers. "La foire commençait à souffrir de gigantisme. Il était important d’en réduire les proportions, de privilégier la qualité, surtout par ces temps de crise du marché de l’art," explique Gerhard Reinz, directeur de la galerie Orangerie-Reinz à Cologne et président d’Art Köln depuis plus de douze ans.

La diminution du nombre des exposants sur les 22 000 m2 du Parc des expositions a permis l’agrandissement de nombreux stands, dont la taille minimum est passée de 15 à 25 m2. Un comité de sélection, composé de six marchands et de quatre conservateurs de musées, élus tous les trois ans, veille à la qualité des stands. "Les œuvres ne sont pas examinées individuellement quand les exposants  et leurs artistes sont connus, mais nous demandons un catalogue et des photographies d’œuvres pour chaque artiste inconnu, explique Gerhard Reinz. Ceci dit, nous disposons également de douze experts, choisis parmi des représentants de musées et des marchands. Si une attribution est contestée, la galerie est tenue d’apporter une preuve d’authenticité."

MADRID : LE CULTUREL
"Les Espagnols adorent l’art, mais pendant quarante ans, ils ont été marginalisés. Aujourd’hui, nous avons huit excellents musées d’art contemporain, et l’Arco." Professeur de formation et organisatrice de conférences et de salons, Rosina Gomez-Baeza est depuis seize ans présidente de l’Arco Madrid, que dirige une association à but non lucratif dépendant de la municipalité. Fondée par un marchand, Juana Aipuru, la première édition avait réuni 80 marchands, avec un petit nombre d’étrangers, et attiré 15 000 visiteurs. Événement autant culturel que commercial, très tournée vers l’art hispanique, la foire madrilène draine 160 000 visiteurs – le double d’Art Köln, cinq fois plus qu’Art Chicago – et cherche aujourd’hui à en limiter le nombre en augmentant le prix d’entrée.

Tandis qu’Art Köln vise les collectionneurs de l’Europe du Nord, l’Arco, forte des liens historiques de l’Espagne, lorgne vers ceux de l’Amérique centrale et du Sud – particulièrement intéressés par l’art contemporain et acheteurs, selon Rosina Gomez-Baeza –, sans oublier le Portugal voisin. La prochaine édition de la foire, du 13 au 18 février, aura pour invitées 30 galeries originaires de douze pays d’Amérique latine, dont le Brésil, Cuba, l’Uruguay et le Venezuela. "L’Espagne est un marché très jeune. Être directeur de galerie est une profession très jeune aussi," fait remarquer Rosina Gomez-Baeza. L’Arco lance un service de conseil pour les collectionneurs débutants, âgés de 30 à 40 ans, qui s’intéressent beaucoup à l’art et ont des revenus confortables. "Nous voulons leur démontrer, d’une façon aussi décontractée et informelle que possible, qu’il est facile et peu coûteux de constituer une collection intéressante, à condition de commencer jeune, de beaucoup lire et de beaucoup discuter avec les marchands," indique Rosina Gomez-Baeza.

L’Arco n’exerce aucun contrôle sur l’authenticité des œuvres exposées. Elle soutient les efforts des jeunes galeries en faisant sponsoriser – comme par Renault Espagne en 1996 – les loyers d’une vingtaine d’entre elles. La foire essaie d’aider à l’essor du marché de la photographie mais reste peu sensible aux charmes des œuvres multiples. "Le rôle commercial de la foire est simple : les gens ne visitent plus les galeries, il faut donc les rassembler afin d’attirer un public très large." Rosina Gomez-Baeza estime que l’Icafa devrait soutenir les galeries en les aidant notamment à trouver les moyens de mieux travailler, non seulement pendant l’Arco, mais à longueur d’année.

CHICAGO : JEUNES AVANT TOUT
De toutes les foires d’art contemporain membres de l’Icafa, Art Chicago est la plus tournée vers la "jeune" création et les "jeunes" marchands – "en dessous de quarante ans", font remarquer fièrement les organisateurs. De nombreuses œuvres et installations sont mixed media, mélangeant des disciplines aussi diverses que la photographie, la sculpture, la vidéo et la peinture, des matières aussi disparates que le béton, les produits plastiques et les textiles artificiels.

Créée en 1992, Art Chicago a pris la succession d’un autre salon, fondé en 1980. Fréquentée par le gratin des collectionneurs internationaux et des professionnels du marché de l’art, la foire se veut maintenant d’un plus grand classicisme afin d’attirer et de rassurer davantage de grands collectionneurs. "Devenus la plus grande foire internationale d’art contemporain aux États-Unis, nous voulons exposer davantage d’artistes bien établis qui sauraient nous conférer une plus grande légitimité, confie Tom Blackman, président d’Art Chicago et exhibition manager professionnel depuis seize ans. Les jeunes marchands et les jeunes artistes apportent beaucoup d’énergie à la foire. Mais nous avons besoin aussi des grands noms de l’art." La plus coûteuse au mètre carré parmi les foires membres de l’Icafa, Art Chicago ne dure que quatre jours et occupe une salle d’exposition de quelque 20 000 m2 au cœur de la Windy City . Des stands de 10 m2 sont mis à la disposition des jeunes galeries, et les organisateurs se félicitent que la moitié des 180 exposants soient originaires d’Europe et d’Amérique du Sud, les autres venant de tout les États-Unis. Les visiteurs – 29 000 en 1995, autour de 35 000 en 1996 – viennent principalement d’Amérique du Nord, et la majorité des œuvres vendues le sont, modestement, entre 5 000 et 50 000 dollars. "Nous nous voulons une foire internationale qui a lieu à Chicago, pas une foire de Chicago", précise Tom Blackman. Art Chicago sélectionne les exposants sans avoir jamais songé à contrôler l’authenticité des œuvres exposées. "La plupart des pièces ayant été créées depuis dix ans, ce n’est pas nécessaire", estime Tom Blackman. De nombreux marchands proposent des photographies, et les œuvres multiples sont admises. L’appartenance de la foire à l’Icafa va cependant susciter quelques changements, notamment en limitant la proportion des private dealers (les marchands en chambre) à 3 % du total. "Avec l’association, nous essayons d’accroître la confiance des acheteurs. Les maisons de vente ont su faire un marketing très habile. Maintenant, c’est à notre tour de nous faire remarquer."

FIAC : LE RETOUR
Fondée en 1974, avec 80 galeries, dans l’ancienne gare de la Bastille par Jean-Pierre Jouët et Henri Jobbé-Duval, de l’OIP (Organisation Idées Promotion), puis transférée deux ans plus tard au Grand Palais, la Fiac a vite acquis une respectabilité internationale. Après son installation à l’Espace Eiffel Branly en 1994, à la fermeture du Grand Palais, elle a vu le nombre de ses exposants décliner, tout comme la qualité des œuvres présentées. Commissaire-général de la Fiac depuis juin 1996, interlocutrice à la fois du Cofiac (le comité d’organisation) et des galeries, Véronique Jaeger a joué un rôle important l’an dernier lors de sa 23ème édition qui, grâce à d’importants efforts d’animation et de promotion, a rendu à la foire parisienne sa place parmi les grandes.

Réorganisé en 1995, le Cofiac, dont les membres étaient autrefois élus à vie, se compose de 23 français et étrangers ; un bureau de neuf membres sélectionne les participants à la foire. À partir de 1997, un comité d’expertise sera mis en place pour vérifier l’authenticité et la provenance des œuvres exposées. En 1996, cette responsabilité était confiée en totalité à Marc Blondeau, lui-même exposant. Pour la première fois l’an dernier, la Fiac a consacré un budget de 300 000 francs à l’accueil privilégié de 140 importants collectionneurs et conservateurs étrangers.

Pour tenter de modifier son image de foire classique et moderne, la Fiac a accueilli en 1996 davantage de photographies, d’installations et d’expositions individuelles. Les organisateurs ont également encouragé la présence de jeunes galeries ayant moins de neuf ans d’activité en leur accordant une remise de 10 % sur la location du stand. "Ces jeunes galeries, qui prennent des risques considérables, représentent le dynamisme, l’avenir même de notre salon. Elles sont comme des laboratoires de recherche artistique, estime Véronique Jaeger. Une foire doit être au service de l’excellence de la profession, jouer un rôle de plate-forme pour l’art contemporain et constituer un événement culturel international de premier ordre. L’appartenance à l’Icafa ne nous met pas en concurrence mais en compétition. Il n’y aura pas d’uniformité, car chaque foire gardera sa personnalité. Et la Fiac sera un lieu d’échange, commercial et culturel."

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°32 du 1 janvier 1997, avec le titre suivant : Les foires d’art contemporain : le club des cinq

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