Marivaudage - La fête galante pour les Ch’tis

Les fêtes galantes embarquent pour Lens

Le Louvre-Lens raconte au grand public une promenade dans les jeux amoureux aristocrates ou pastoraux. De bonnes intentions, cependant encore trop timides

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 2 février 2016 - 875 mots

Les amours aristocrates et pastorales au XVIIIe égayent les cimaises du Louvre-Lens. Malgré un budget réduit, des prêts pénalisés par l’exposition du Sénat sur Fragonard et un espace difficile à rendre intime, le commissaire a produit un parcours vivant et relativement compréhensible pour le grand public, mais cette accessibilité aurait pu être améliorée.

LENS - Plus qu’ailleurs l’exercice de vulgarisation prend un tour particulier au Louvre-Lens, où il entre dans le cahier des charges des expositions. Xavier Salmon, le directeur des arts graphiques au Louvre s’est prêté au jeu avec un sujet facile : les fêtes galantes et pastorales. Il s’en sort honorablement, mais on aurait pu s’attendre à plus d’audace de la part du commissaire de l’exposition « Marie-Antoinette » du Grand Palais (2008) qui n’avait pas lésiné sur les effets spectaculaires. Il est vrai que cette fois, il ne peut s’appuyer sur la mise en scène de Robert Carsen. Sujet intime et universel, le jeu amoureux et sa représentation artistique dans une société qui veut oublier la fin de règne austère de Louis XIV est un thème récurrent dans la chronologie des arts, et le commissaire a choisi de montrer dans une première salle ses antécédents immédiats dans la production des peintres du Nord. Avec Watteau et Le pèlerinage à l’île de Cythère, il s’impose comme une catégorie à part entière sous l’étiquette de fêtes galantes. Cette première séquence est précédée d’une salle immersive, dans laquelle le visiteur est invité à s’asseoir pour contempler des galants et galantes en ombres chinoises, au son de la fameuse ritournelle réécrite pas Madame de Pompadour, « Nous n’irons plus au bois » et dont le refrain donne son titre à l’exposition.
Un espace peu commode

Ces prolégomènes annoncent-ils une scénographie hardie à faire hurler les critiques toujours prompts à dénoncer le gazon synthétique (Orsay, 2012) ou la reconstitution d’un atelier bohème (Grand Palais, 2012) par le même Robert Carsen ? Non, cette première salle est l’acmé des effets spéciaux et par la suite les visiteurs empruntent un parcours orthodoxe – très « Louvre » pourrait-on dire – avec çà et là quelques trouvailles intéressantes. Le commissaire aidé de la scénographe Véronique Dollfus a ainsi réussi l’exploit d’intimiser l’immense espace (1 700 m²) tout en longueur et peu commode des expositions temporaires, en le plongeant dans une douce obscurité avec des éclairages qui projettent sur le sol des ombres feuillues. Il a aussi cassé l’orthogonalité des lieux avec des cloisons montées en biais. Plus subtil et plus fécond, ont été disposés à hauteur d’homme (alors qu’au Louvre ils sont accrochés plus haut) et sans dispositifs d’éloignement intimidants quelques tableaux phares, dont Le Pèlerinage, de sorte que l’on entre littéralement dans la scène. Une expérience qui vaut tous les effets hollywoodiens, pour peu que l’on concentre un peu son attention avant de se laisser embarquer.

Profitant de la générosité de l’espace, le commissaire a aménagé entre les séquences des zones où sont inscrits les panneaux de textes présentant la section à venir. Mais en dehors de ceux-ci, le parcours est avare en explications. Le musée se justifie en invoquant la traduction des textes en deux langues qui alourdit la scénographie, préférant renvoyer les visiteurs au peu disert livret de visite et à l’audioguide (que l’on n’a pas écouté). Heureusement, certaines œuvres parlent d’elles-mêmes, tels ces costumes du XVIIIe de Pierrot et Pantalone, admirablement conservés, venant d’un musée tchèque. Ils illustrent judicieusement le marivaudage au théâtre et les allers-retours entre peinture et opéra. À proximité des costumes, est accroché, non pas le Pierrot de Watteau qui n’a pas fait le voyage de Paris, mais Le Théâtre italien de Nicolas Lancret inspiré du chef-d’œuvre de son contemporain.
L’amuseur songeur de Watteau n’est d’ailleurs pas le seul à faire défaut. La Banque de France a refusé de prêter (elle l’avait pourtant fait dix ans plus tôt) La fête à Saint-Cloud de Fragonard, tandis que la Wallace collection ne fait plus voyager le célébrissime Les hasards heureux de l’escarpolette du même Fragonard, qui témoignent tous deux de la déclinaison des fêtes galantes en scène de genre.

Les Fragonard ayant été réquisitionnés pour l’exposition du Sénat, et le budget raboté de 150 000 € sur le million d’euros d’ordinaire alloué à chaque exposition, il a fallu meubler. L’exposition présente un bon tiers de gravures et de dessins, mais aussi précisément des meubles et des objets décoratifs. Un parti pris qui se révèle pertinent. D’un abord plus familier pour le public, ces plats, assiettes ou figures en porcelaine ou faïence témoignent de l’engouement de l’aristocratie du XVIIIe pour ces scènes d’amours champêtres chargées de symboles sans équivoque (comme la jeune fille jouant de la flûte). Ces objets de type rococo étonnent aujourd’hui par leur kitsch, telle cette scène pastorale du Polonais Jansen faite de coquillages. Parfait pour créer une connivence avec le public.

30 nouvelles œuvres dans la galerie du Temps

En décembre dernier, date anniversaire du Louvre-Lens, trente nouvelles œuvres venant du Louvre ont remplacé des œuvres de la collection semi-permanente d’un accès gratuit. Parmi celles-ci, Le jeune mendiant napolitain dit Pied-bot de Ribera et Le majordome Kéki, une statuette égyptienne (vers 2500-2350 avant J.-C.).

Dansez

Commissaire : Xavier Salmon, directeur du département des arts graphiques au Louvre
Scénographe : Véronique Dollfus
Nombre d’œuvres : 207

Dansez, embrassez qui vous voudrez. Le Louvre Lens

Jusqu’au 29 février, tlj sauf mardi, 10h-18h, entrée 10 €, www.louvrelens.fr, catalogue Louvre-Lens Silvana Éditoriale, 320 p., 39 €.

Légende photo
Antoine Watteau, Pèlerinage à l’île de Cythère, 1717, huile sur toile, Musée du Louvre, Paris. © Photo : Musée du Louvre, dist. RMN/Angèle Dequier.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°450 du 5 février 2016, avec le titre suivant : Les fêtes galantes embarquent pour Lens

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