L’usage de visions d’épouvante aurait-il des bienfaits salvateurs ? On a tendance à le croire une fois achevée la visite d’« Enfers et fantômes d’Asie » face à leur grande popularité dans cette partie du monde, du moins à leur place dans la création.
Littérature, estampe, peinture, théâtre nô ou kabuki, cinéma ou manga : aucun domaine n’y échappe. Les figures de fantômes, d’esprits ou de revenants, de créatures menaçantes, affamées ou éplorées peuplent les imaginaires et les croyances. Dès le Xe siècle, la vision de la descente aux enfers dans l’art bouddhique développe dans des peintures sur soie ou sur papier des plus raffinées une première salve de supplices et de créatures monstrueuses et voraces.
Le vaste panorama des différentes imageries de ce monde souterrain distille ses nuances entre la Chine, le Japon, la Thaïlande et les autres pays de l’Asie du Sud-Est. Le florilège des pièces rassemblées n’est toutefois qu’une mise en bouche de ce que réserve la suite du récit de Julien Rousseau, responsable de l’Unité patrimoniale Asie du Musée du quai Branly-Jacques Chirac. Pas à pas, le visiteur se familiarise avec le visage grimaçant de Yürei, de celui éprouvé de Oyuki, voire tourmenté par la jalousie de Hannya. Extraits de films de cinéastes japonais et créations contemporaines placés en contrepoint d’estampes, de peintures ou de masques de théâtre nô ou kabuki de la période Edo (1600-1868) expriment l’appropriation que chaque époque fait de ces spectres, miroirs des actes, tourments, craintes ou malheurs humains.
En Thaïlande, les têtes volantes de Phi qui hantent les forêts ne sont rien à côté du Phi Pop qui dévore les entrailles, ni à côté des moines bouddhistes faméliques qui se dévorent entre eux, de l’artiste contemporain Anupong Chantorn. Là encore, créations contemporaines et productions cinématographiques thaïlandaises rivalisent en réinterprétations stylistiques. De salle en salle, l’étonnement ne faiblit pas devant un tel concentré de récits et de talents époustouflants. La partie réservée aux rites funéraires en Chine, en Corée, au Japon ou au Vietnam et au cycle de réincarnations n’en manque pas. Mais là se découvrent des outils et des conseils utiles à tout un chacun pour ne pas se laisser dévorer à son tour par quelque esprit des lieux.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°713 du 1 juin 2018, avec le titre suivant : Les fantômes se déchaÎnent au quai Branly