Dans le cadre du Mois de la Photo et du thème de l’intime, la BnF organise la première rétrospective de la photographe disparue prématurément et dévoile une œuvre singulière.
PARIS - « Peu de photographies d’Alix ont été montrées en public de son vivant. Elle en présentait parfois, de manière privée, dans son atelier, rue Vieille du Temple pour quelques amis. Les réactions furent variables (…) L’unique reconnaissance significative, l’exposition de la séquence “Si quelque chose noir”, aux Rencontres photographiques d’Arles en 1983, a été posthume », mentionne Jacques Roubaud, son mari, dans la postface du livre Une image peut-être vraie d’Hélène Giannecchini. Même avec la publication du Journal d’Alix (1979-1983, éditions du Seuil) et l’exposition du Centre international de poésie Marseille organisée en 2010 à l’occasion de sa réédition, ou encore après l’accrochage en 2012 de treize de ses photographies dans la collection permanente du Centre Pompidou, personne (y compris ceux qui connaissaient ses images) n’avait pris la mesure de l’œuvre d’Alix Cléo Roubaud (1952-1983), avant que la Bibliothèque nationale ne l’expose, une fois l’étude d’Hélène Giannecchini achevée.
Durant cinq années, l’historienne de la photographie a inventorié, classé et étudié les archives et quelque 600 photographies d’Alix données par l’écrivain oulipien à différentes institutions, dont la Bibliothèque nationale de France (BnF), le Musée national d’art moderne et la Maison européenne de la photographie. C’est donc une révélation qui s’opère à la BnF, d’autant plus réussie que le découpage et la scénographie permettent d’entrer immédiatement dans l’écriture photographique singulière de cette œuvre indissociable du travail théorique sur le médium entrepris par son auteure. En deux cents photographies couplées à des documents de travail et des textes inédits, son approche du médium réinterprète son milieu et son époque, sa rencontre avec le réalisateur Jean Eustache en 1979 et son union au poète Jacques Roubaud en 1980.
Elle se met en scène
En effet, si en 1979 Alix Cléo Roubaud décide d’être photographe, elle n’en abandonne pas pour autant ses travaux de traduction de poèmes ni son intérêt pour la prose de la poétesse Gertrude Stein ou les écrits du philosophe Ludwig Wittgenstein, auquel la philosophe de formation a consacré une thèse inachevée. « Parce qu’Alix est morte jeune, qu’elle était malade et parfois dépressive, son œuvre semble autobiographique. Elle ne l’est pas (…) Alix manie des idées, loin du pathos, l’intime n’est que soubassement d’une démarche conceptuelle », souligne Hélène Giannecchini. Si dans l’image, la jeune femme utilise son vécu intime, son corps, celui de son mari, de ses amants ou la silhouette de ses parents lors d’un voyage en Égypte quand elle était enfant, des durées de poses longues (Alix Cléo Roubaud travaillait au retardateur), c’est pour interpréter ou réinterpréter le temps, la mémoire et la disparition afin de leur donner une autre portée, notamment poétique, par la variation de lumière, la répétition, le rythme trouvés dans le clos de la chambre noire, cadre de ses expérimentations pour faire advenir l’image adéquate.
« Alix reprend à son compte la rythmique des textes de Gertrude Stein pour la traduire dans ses photographies », note Hélène Giannecchini. « Elle veut aussi comme Jackson Pollock, produire de l’instant, faire d’une photographie une action. » De fait, Alix Cléo Roubaud ne regarde pas du côté de la photographie, mais du côté des artistes ou poètes de son époque, en particulier Gertrude Stein, Jackson Pollock ou Morris Louis, les créations de ce dernier l’amenant en particulier à un procédé mêlant encre et sel d’argent. Dans son appartement, elle ne possédait aucun livre de photographie ni ne conservait ses négatifs « jugés comme des matériaux insignifiants et systématiquement jetés », dit Hélène Giannecchini.
Projeté dans l’exposition, le film Les photos d’Alix (1981) de Jean Eustache fait entendre la voix
de la jeune femme commentant un jeu de ses épreuves au fils du cinéaste. Au fur et à mesure, s’immisce un décalage de plus en plus grand, et drôle, entre ce qu’elle dit de la photo et ce que l’on voit d’elle. Dans une vitrine, une version du scénario. Rien n’est dû au hasard ni improvisé dans ce jeu, où la séduction, la sensualité des corps, les regards ne perdent pas de leur trouble.
Commissariat : Anne Biroleau-Lemagny, conservateur général et Dominique Versavel, conservateur, au département des Estampes et de la photographie BnF ; Hélène Giannecchini, historienne de la photographie et écrivain.
Scénographie : Martin Michel
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Les expériences d’Alix Cléo Roubaud
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Abonnez-vous dès 1 €Alix Cléo Roubaud, photographies. Quinze minutes la nuit au rythme de la respiration, jusqu’au 1er février 2015, BnF/François-Miterrand, quai François Mauriac, 75013 Paris, mardi-samedi 10h-19h, dimanche 13h-19h, www.bnf.fr, catalogue, éditions de la BnF, 192 p, 42 €.
Légende Photo :
Alix Cléo Roubaud, de la série « Si quelque chose noir », Saint-Félix, 1980. © Alix Cléo Roubaud.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°424 du 28 novembre 2014, avec le titre suivant : Les expériences d’Alix Cléo Roubaud