La 18e édition de la biennale parisienne de la photographie a retenu trois thèmes. Si certains rassemblent une offre cohérente, d’autres présentent une programmation trop disparate.
Tous les deux ans à l’automne, le Mois de la photo est un marronnier attendu à Paris. Au fil des éditions, la manifestation ne s’est pas érodée. Les thèmes variant d’une biennale à une autre mobilisent toujours autant d’institutions, de galeries et de centres culturels compte tenu de la visibilité donnée par la manifestation. Comme de coutume, déterminées et confiées chacune à un délégué artistique par le directeur de la Maison européenne de la photographie (MEP), Jean-Luc Monterosso créateur de ce festival, ces thématiques figurent une programmation d’une centaine de propositions dispersées sur le territoire parisien intra muros. Le Grand Paris n’est pas encore rentré dans le cercle, à quelques rares exceptions cette année avec la galerie Lumière des Roses, les Studios Robespierre (Montreuil) et la Maison de photographie Robert Doisneau (Gentilly).
Pour 2014, la dix-huitième édition , les thématiques « Photographie méditerranéenne », « Anonymes et amateurs célèbres » et « Au cœur de l’intime » dressent une cartographie de rendez-vous que viennent renforcer les grandes expositions de la rentrée : Garry Winogrand (Jeu de paume), William Eggleston (Fondation Henri Cartier-Bresson) et Roman Vishniac (Musée d’art et d’histoire du judaïsme). L’inauguration du Cabinet de photographies au Centre Pompidou, avec la première rétrospective Jacques-André Boiffard et l’hommage rendu à Sabine Weiss pour ses 90 ans par le Salon de la photo (13 au 17 novembre) constituent d’autres temps forts, tandis qu’au BAL, le focus consacré à l’auteur flamand Dirk Braeckman est une autre première en France. Intégré dans la sélection du critique Jean-Louis Pinte en charge du thème de l’intime, il projette dans l’univers clos, tactile et évidé (ou presque) ses photographies monumentales, porteuses d’histoires ramenant au désir, au manque ou au souvenir. L’œuvre d’Alix Cléo Roubaud (1952-1983) présentée la Bibliothèque nationale de France est tout autant suggestive. Nimbées de mystères, de références et d’expérimentations, ses images donnent matière à réflexions. Comme le souligne Anne Biroleau, commissaire de l’exposition, « l’œuvre ne se cantonne pas à la prise de vue », ni à la figure de l’auteure ou à celle du couple qu’elle forme avec le poète Jacques Roubaud. « Elle est envisagée de bout en bout, s’accomplit dans la chambre noire. Le travail du tirage s’avère absolument fondamental. L’épreuve sera souvent unique. » Ce n’est pas un hasard si Paris Photo a inclus la rétrospective dans son parcours VIP. Au-delà de la révélation de ce travail méconnu, son caractère expérimental et tenant de la performance est un des aspects du médium auquel la foire entend donner une plus grande visibilité.
Un intime mal défini
Interroger l’intime en ces temps de grands déballages appelle ailleurs d’autres questionnements. La galerie Françoise Paviot explore le lien qu’entretiennent avec cette thématique six auteurs contemporains (notamment Ann Mandelbaum et Bogdan Konopka), tandis que la galerie Les Douches revisite le positionnement vis-à-vis de l’autoportrait d’auteurs aussi différents que Bérénice Abbott, Wols, Lucien Hervé, Raymond Depardon, Hervé Guibert ou encore Arno Rafael Minkkinen, objet par ailleurs d’un solo show à la galerie Camera Obscura. Mais notre corps et ses organes ne nous ramènent-ils pas à ce ce que nous sommes, interroge la galerie Michelle Chomette au travers d’épreuves anciennes et modernes sur le sujet. Dans les écritures de l’intime, les états du corps que scrute Jeffrey Silverthorne, mis en regard à la galerie Vu avec ceux d’Alexia Monduit, tranchent avec l’approche épurée du Sud-Coréen Byung-Hun Min (La Galerie Particulière) ou les nus de Tuija Lindström (Institut culturel suédois). Dans les espacements visuels et mentaux de Serge Clément (Centre culturel canadien) ou l’esthétique de « l’habiter » d’Hortense Soichet (Cité de l’architecture et du patrimoine), la question de l’intime investit d’autres territoires, le dernier travail de Klavdij Sluban (Maison Victor Hugo) revenant à l’esprit des lieux d’exil ou de retrait d’écrivains.
L’intime est un sujet vaste. Avec une quarantaine de propositions sur la centaine que compte le Mois de la photo, la biennale y associe beaucoup trop de choses, parfois hors de propos. Malgré leur très grande qualité, les expositions Eggleston, Winogrand ou Vishniac n’ont rien à voir avec l’intime. Même regrettable constatation pour « Paris champ & hors champ », consacré aux collections d’arts et vidéos contemporaines de la Ville de Paris (Galerie des Bibliothèque de la Ville de Paris), pour « Paris » de Michael Kenna (Musée Carnavalet) ou encore pour Sonia Delaunay casée dans ce thème via les deux cents clichés sur l’artiste incorporés dans la rétrospective que lui consacre le Musée d’art moderne de la ville de Paris. Au-delà de leur intérêt, on ne voit pas ce qui les rattache à cette thématique, si ce n’est
leur statut d’institution de la Ville de Paris.
Ce manque de positionnement, de construction forte et resserrée est à nouveau déploré à l’abord de la « Photographie méditerranéenne », autre sujet de la manifestation, développé quant à lui par Giovanna Calvenzi et Laura Serani, malgré là encore de forts beaux rendez-vous. Que ce soit avec Alberto Garcia-Alix (MEP), Aitor Ortiz (Centquatre), Isabel Muñoz (Institut Cervantes), Carlos Pérez Siquier (galerie Tagomago), « Les Vacances de Monsieur Le Corbusier » vues par Lucien Hervé (Fondation Le Corbusier), » ou BORDeMER (École nationale supérieure d’Architecture Paris-Val de Seine), exposition revenant sur la collection du Conservatoire du littoral, notamment sur le dernier travail de Dolorès Marat. Dans le registre vision kaléidoscopique de la région retenue pour cette section, le portrait qu’en dresse Nick Hannes (galerie Cosmos) convoque de son côté l’actualité, en particulier la question migratoire que Lætitia Tura (Galerie du Bar Floréal), Patrick Zachmann (Magnum Gallery), Bruno Boudjelal (galerie du Pont Neuf) ou Martine Voyeux (galerie Forêt Verte) développent en contrepoint de leur propre histoire familiale. Cette part d’intime imprègne tout aussi fortement ceux de Florence Chevallier (galerie Brun Léglise) ou de Gladys (galerie du Montparnasse).
Les trésors cachés des photos anonymes
La section « Anonymes et amateurs célèbres » n’échappe pas davantage à l’intime. Cependant dans cet autre axe du Mois de la photo, pas une once de surpoids ni de hors sujets, y compris dans l’inévitable commémoration de la Première Guerre mondiale s’accompagnant de son lot d’expositions du Musée Carnavalet à l’Institut hongrois ; expositions au demeurant passionnantes par leurs archives d’amateur ou d’anonyme dévoilées. À la différence des autres délégués qui ont du faire une sélection dans les candidatures soumises, Valérie Fougeirol en charge de ce thème a dû aller à la rencontre de ceux ou celles qui œuvrent à la diffusion de la photographie anonyme ou amateur. Les projets générés forment la majorité de sa programmation articulée autour de trois directions. En premier lieu, les expositions de Michel Frizot « Toute photographie fait énigme » (MEP) et « Photos trouvées, photographies d’amateurs du XXe siècle » (Maison de la photographie Robert Doisneau). Deux expositions à l’origine de ce thème et autour duquel s’articulent celles des autres acteurs de cette photographie que sont Serge Plantureux (Photo Vivienne et Studio Robespierre), Emmanuelle Fructus (Un livre-une image), Luce Lebart (Société française de photographie) ou Marion et Philippe Jacquet (galerie Lumière des Roses). L’amateur célèbre comme Michel Houellebecq (Pavillon Carré de Baudoin), Stanislaw Witkiewicz (galerie de France) ou celui qui passe du statut de l’amateur à celui d’auteur tels Mike Brodie et Matt Wilson (Les Filles du Calvaires) prennent une autre orientation, tandis que celui des artistes contemporains s’appropriant la photographie amateur ou anonyme déplie de nouveaux repères enthousiasmants avec Alexandre Navrati (Centre culturel suisse), Stéphanie Solinas (Église Saint-Eustache), Miki Nitadori (Catherine & André Hug) ou Carlos Cruz-Diez (Maison de l’Amérique latine).
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Le Mois de la photo s’éparpille
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°422 du 31 octobre 2014, avec le titre suivant : Le Mois de la photo s’éparpille