Art contemporain

ART CONTEMPORAIN

Les êtres en suspens de Françoise Pétrovitch

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 16 mars 2022 - 339 mots

Solitaires et enfermés dans leur mutisme, les personnages représentés par la peintre conservent intact leur mystère.

Landerneau (Finistère). Les personnages de Françoise Pétrovitch sont absents. Non pas physiquement, car le spectateur découvre des adolescents dessinés ou peints avec précision sur une surface blanche sans aucune nuance, comme un écran isolant et infranchissable. Mais au sens figuré, car ils semblent contaminés par un « défaut » commun, celui d’une présence affichée mais néanmoins éloignée. Disposées sur des fonds désertés, délivrés d’éléments parasites, ces figures en dissonance avec leur existence « ne sont adossées à rien, juste à la peinture »,écrit l’artiste dans le catalogue de l’exposition du Fonds Hélène &Édouard Leclerc pour la culture.

Anonymes, enfermés ou égarés dans leur mutisme, ces adolescents paraissent s’être retirés dans un univers dans lequel nul n’est admis. La peintre ne les considère pas comme un motif qui s’intègre dans un cadre plus général mais comme un élément à part, étranger au reste du monde, ce en quoi ces images peuvent exercer une fascination. Solitaires et immobilisés, comme si le seul fait d’être impliquerait l’isolement, ces personnages introvertis donnent l’impression ne pas habiter réellement les lieux, emprisonnés à l’intérieur d’un no man’s land pictural, résistant à toute investigation psychologique. Sans aucune activité déterminée, leurs gestes lents, comme suspendus, ne s’éloignent que rarement de leur corps (Le Fumeur [1918, voir ill.], ce personnage étrange aux yeux « troués » ; une jeune fille qui se frotte les yeux dans Sans titre, 2020). Ailleurs, un regard dans le vide ou un masque qui recouvre le visage (Nocturne, 2017) les rend inaccessibles.

Rétive à l’anecdote, l’œuvre met au défi l’interprétation, s’impose comme une énigme. Énigme « creuse » toutefois, que l’on soupçonne de renfermer des faits d’une terrible banalité, des petits drames de tous les jours, des bribes de récits assez universels pour permettre à chacun de s’y reconnaître, assez spécifiques pour interdire au spectateur de pénétrer leur coquille fragile. Cette peinture, qui refuse le trop-plein, la tension, semble figurer une réalité comme entre parenthèses, en attente ; tout est là et rien n’est dit.

Françoise Pétrovitch,
jusqu’au 3 avril, Fonds Hélène & Édouard Leclerc pour la culture, 71, rue de la Fontaine-Blanche, Aux Capucins, 29800 Landerneau.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°585 du 18 mars 2022, avec le titre suivant : Les êtres en suspens de Françoise Pétrovitch

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