Pour sa deuxième biennale, la Collection de l’art brut se consacre à ses architectures. Un ensemble foisonnant dont la présentation aurait mérité d’être un peu plus didactique.
LAUSANNE - On les qualifie de « visionnaires », d’« inspirés du bord de routes » selon le titre éponyme du livre de Jacques Verroust et Jacques Lacarrière. Les environnements spectaculaires de Simon Rodia (Les tours de Watts à Los Angeles), Ferdinand Cheval (le Palais idéal à Hauterives, Drôme), Clarence Schmidt (la Maison aux miroirs à Woodstock, État de New York) et d’une brochette de ces étonnants créateurs tiennent lieu d’antichambre à la deuxième Biennale de la Collection de l’art brut. Une sélection de grandes photos reproduisant leurs « anarchitectures » est exposée, en extérieur, devant le château de Beaulieu.
À l’intérieur, la sélection est riche et foisonnante. Pascale Marini-Jeanneret, conservatrice et commissaire de l’exposition, a réuni 250 œuvres appartenant toutes à l’institution lausannoise. La majorité est constituée d’œuvres sur papier. Les sculptures, comme la tour Eiffel en bois d’ormeau d’Émile Ratier ou les bas-reliefs en liège de Joaquim Vicens Gironella, sont aussi rares que la présence d’artistes femmes. Étonnamment, on ne trouve que sept créatrices sur les 51 artistes retenus pour évoquer le foyer, « le ventre protecteur ».
Constructions-refuges
Le parcours débute avec des architectures réalistes et se poursuit avec des univers imaginaires. Le cheminement aurait pu être plus inspiré. Après les monuments, les maisons et autres constructions, place aux villes, aux mondes imaginaires et aux utopies architecturales. Le dernier mot appartenant aux artistes spirites. Pourquoi ne pas avoir lancé de ponts entre les créateurs « d’édifices bruts » et d’autres disciplines ? Avec l’architecture, la photographie, la psychanalyse, voire la parapsychologie ? L’art n’est-il pas aux yeux de Dubuffet un instrument de connaissance ?
« Faites-moi une maison comme moi », demanda Curzio Malaparte à l’architecte chargé de concevoir sa Villa de Capri érigée à flanc de falaise sur l’extraordinaire site de Capo Masullo. Ce parallélépipède de maçonnerie rouge, flanqué d’un long escalier menant sur un toit terrasse et privé de tout garde-fou, plonge à pic sur la mer. Maison tout à l’ego ou miroir de l’âme ? Admis dans le foyer de la Pommeraie dans l’ancien couvent des Sœurs de Saint-François de Sales à Ellignies-Sainte-Anne (Belgique), Paul Duhem (1919-1999) y peint de petites maisons iconiques, de couleurs pimpantes, qui se résument à des portes fermées surmontées de fenêtres triangulaires. Internée à l’asile de Bel-Air, à Genève, Berthe Urasco (1898- ?) exécute d’émouvantes maisons anthropomorphes de guingois. Jules Godi (1902-1986) vit dans les environs de Draguignan. En 1959, il perd toute sa famille engloutie par les eaux qui ont déferlé dans la vallée après la rupture du barrage de Malpasset (Var). Le maçon se reconstruit en dessinant des enchevêtrements de bâtisses, de toits et de blocs de ciment en dents de scie, saturés d’aplats colorés et géométriques.
Pascale Marini-Jeanneret a exhumé de nombreuses pépites des réserves de la Collection qui compte quelque 60 000 œuvres : des œuvres historiques rarement exposées comme ces dessins d’André Carré figurant de poignantes maisons de briques résumées à leur plus simple expression. Mais aussi des acquisitions récentes comme les œuvres de Yuri Titov (né en 1928) représentant des mausolées et des temples, et les chalets et autres édifices en construction de Diego (né en 1963) faits de petits modules géométriques répétés à l’infini.
Des architectures sans trace humaine
La plupart de ces œuvres sont dépourvues de toute présence humaine. À l’image des dessins à l’encre sur carton de Yuri Tsuji (né en 1977) montrant des environnements urbains vus du ciel. De minuscules voitures sillonnent les larges rues de ses villes imaginaires bordées d’immeubles minutieusement croquées. De beaux bâtiments, quelques animaux égarés, d’étranges végétaux qui grappillent l’espace conquis par la pierre et le béton, mais aucun homme non plus dans les feuilles à la mine de plomb d’Otto Prinz (1906-1980). Nos frères en humanité sont de retour chez Helmut Nimczewski (né en 1945). De retour mais parqués, enfermés derrière les vitres de leurs immeubles coquets et colorés. Coupés de la nature, des grands arbres et des ciels bleus et ensoleillés.
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Les étonnants architectes de l’art brut
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 17 avril, Collection de l’Art brut, 11 avenue des Bergières, Lausanne (Suisse), mardi-dimanche, 11h-18h, entrée CHF 10 (9 €), www.artbrut.ch. Catalogue, Édition 5 continents, 168 p, 32 €.
Légende photo
André Carré, Sans titre, 1952, encre sur papier, 14,7 x 22 cm, Collection de l’Art Brut, Lausanne. © Photo : Caroline Smyrliadis.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°450 du 5 février 2016, avec le titre suivant : Les étonnants architectes de l’art brut