Radio & télévision

Culture visuelle

Les enfants terribles de la télé

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 10 novembre 2015 - 682 mots

POITIER

À Poitiers, le Confort moderne vise juste en « invitant » Jean-Christophe Averty et des artistes dont l’œuvre relève d’une communauté d’esprit avec l’homme de télévision.

POITIERS - Ce sont des enfants de la télé, ou plutôt d’une certaine forme de télévision, originale, créative, inclassable, improbable parfois. À Poitiers, le Confort moderne convie des artistes à se confronter à la figure de Jean-Christophe Averty, l’homme aux quelque mille émissions qui chamboulèrent tant la création que le mode de lecture de la télévision, laissant parfois le spectateur s’interroger à nouveau sur l’exacte nature de ce qu’il est train de regarder ; un bouleversement né d’une syntaxe inédite de l’image télévisuelle, qui se permet toutes les audaces de montage au service d’aventures narratives. « Averty multiplie les expérimentations et invente des procédés de découpage, incrustation, superposition et démultiplication qui mettent l’infini à portée du regard, au plus près du sens premier de la télévision », estime ainsi Emmanuel Tibloux dans le numéro de la revue Initiales qui accompagne l’exposition.

« The Averty Show » permet donc de se replonger avec bonheur dans une petite sélection de dix programmes du génial trublion, des programmes en lien avec la littérature et des auteurs tels Raymond Roussel, Alfred Jarry, Jules Verne ou Lewis Carroll, réalisés entre 1964 et 1981 ; des œuvres visuellement étranges, à la fois sophistiquées et bricolées, dans lesquelles s’étire un récit souvent extrapolé, fruit d’un véritable travail d’écriture.

Refus du naturalisme
C’est peut-être l’Américaine Shana Moulton qui visuellement se tiendrait aujourd’hui au plus près d’Averty, avec ce film dans lequel son héroïne s’invente une vie entre tâches quotidiennes et pratiques New Age, dans un cadre de vie construit grâce à des incrustations (Moments from Whispering Pines 10, 2015). La commissaire Jill Gasparina ne propose pas cependant une exposition sur Jean-Christophe Averty et son éventuelle descendance, mais s’intéresse à la manière dont l’esprit de ses productions s’inscrit dans la création d’aujourd’hui. Les artistes invités élaborent en effet un univers refusant le naturalisme et développent une forme de fantaisie visuelle qui, pour certains, assume une esthétique surréalisante chère à Averty.

L’incontournable fond vert se devait de figurer en bonne place. C’est Arnaud Dezoteux qui lui offre un rôle central avec un projet au long cours et ici une ample installation sculpturale semblable à un décor de film – tout vert ! – qu’on ne voit jamais et qui a servi de cadre au tournage d’une autre production, bien visible celle-là : ou comment jouer habilement de la confusion entre réalité et fiction (Behind the Scenes. Au seuil de l’éternel, 2015). Spécialisé dans les films expérimentaux développés à partir de logiciels de modélisation 3D, Bertrand Dezoteux, son frère, donne lui à voir Picasso Land (2015), un film d’animation dans lequel des formes du maître venues du ballet Parade d’Erik Satie s’animent et, par le biais du montage, en viennent à conjuguer une abstraction. Ce qui revient, comme Averty en son temps, à travailler sur des problématiques de décor, de montage et d’animation.

Chez Brice Dellsperger, inspiré par une scène du film My Own Private Idaho (1991) de Gus Van Sant, ce sont des couvertures de magazine qui, sur un présentoir, se mettent à parler de questions relatives à la transformation, physique ou sexuelle, dans un 34e opus de la série Body Double (2015) très réussi.

Et si, pour Jean-Christophe Averty, faire de la télé c’était se donner la possibilité d’inventer et de créer un monde à partir de pas grand-chose, Pierre-Olivier Arnaud parvient à lui répondre magnifiquement. Dans une une volontaire économie de moyens, comme toujours chez cet artiste, il a dépouillé l’image d’un rideau de scène ; une fois agrandie et débarrassée de nombreux détails, celle-ci n’est plus qu’un visuel très pauvre constellé de taches noires, qui accueille le visiteur sous la forme de grands posters à l’entrée et de photocopies dispersées au sol dans l’exposition (Sans titre (play still 14), 2015).
Une intervention bien vue, qui vient conjurer la possible tentation de surjouer la télévision et l’idée du spectacle.

The Averty Show

Commissaire : Jill Gasparina
Nombre d’artistes : 9
Nombre d’œuvres : 18

The Averty Show

Jusqu’au 20 décembre, Le Confort moderne, 185, rue du Faubourg-du-Pont-neuf, 86000 Poitiers, tél. 05 49 46 08 08, www.confort-moderne.fr, tlj sauf lundi-mardi 14h-19h, dimanche 14h-18h, entrée libre. Un numéro de la revue Initiales est paru pour l’occasion : Initiales no 6, « Jean-Christophe Averty », éd. École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon, 128 p., 15 €.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°445 du 13 novembre 2015, avec le titre suivant : Les enfants terribles de la télé

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