Nomade, vagabond, éternel migrant… : nombreux sont les qualificatifs dans la glose sur le travail de Babi Badalov à insister sur les errances fertiles au cœur de son œuvre et de sa vie.
Une œuvre et une vie qui semblent parfaitement intégrées l’une dans l’autre. Né en 1959 dans un petit village dans les montagnes d’Azerbaïdjan, Badalov fait ses débuts sur la scène artistique de Saint-Pétersbourg, avant de connaître une vie d’exil, émigrant aux États-Unis, puis en Angleterre et, enfin, en France où il obtient en 2011 l’asile politique. Cette situation de perpétuel exilé percole dans son œuvre tout entière, sans aucun opportunisme mais avec une profonde sincérité. L’exposition que lui consacre la Verrière réunit pour la première fois toutes les techniques qu’il convoque. Sur l’un des murs se déploie un immense collage réalisé in situ durant près de dix jours où se mêlent des images glanées ici ou là (des prospectus publicitaires, des cartes téléphoniques, des pages de magazines…) puis assemblées et reliées par un travail calligraphique virtuose réalisé à l’acrylique. Badalov invente une poésie faite de mots détournés et réinventés, où les questions de multiculturalisme, de postcolonialisme, de genre s’entrechoquent. Il retransmet tout en subtilité, sans dénonciation, le chaos d’une société néolibérale traversée par de multiples tensions. Ses jeux avec le langage se retrouvent sur les grands morceaux de tissus récupérés (rideaux, bouts de tissus découpés…) également calligraphiés, qu’il a accrochés aux murs et déposés sur un immense socle au centre de la verrière. Les mots débordent le cadre défini par les tissus comme un esprit en perpétuel mouvement qui cherche, qui regarde, qui ressent, qui vit intensément. Nous découvrons aussi une série de dessins à l’encre où le trait s’affirme, irrépressible, donnant à voir des visages humains, mais aussi des formes plus étranges. À côté, un panorama de photos révèle une pratique photographique quasi compulsive qui scrute les marges de l’espace public. Toujours avec ce même sens aigu de la dérive créatrice.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°731 du 1 février 2020, avec le titre suivant : Les dérives poétiques et politiques de Badalov