Depuis la colonisation de l’Algérie jusqu’à l’indépendance de 1962, le Musée dauphinois, à Grenoble, retrace sans complaisance et avec pudeur l’histoire des pieds-noirs. Servie par une scénographie des plus vivantes (ambiances lumineuses, sonores et olfactives, vidéos et reconstitutions), le parcours se concentre sur des témoignages oraux et filmés, ceux des pieds-noirs, mais aussi des harkis, des anciens combattants et des Français d’origine algérienne.
GRENOBLE - Sujet pour le moins douloureux, l’histoire des Français d’Algérie ne fait l’objet que d’une seule exposition à l’occasion de “Djazaïr, une année de l’Algérie en France”. C’est le Musée dauphinois, à Grenoble, qui a relevé le défi, pour une exposition qui se poursuit jusqu’au 15 septembre 2004. Depuis les années 1990, l’institution s’emploie à évoquer la mémoire des communautés composant la population iséroise (les Grecs en 1993, les Arméniens en 1997 et les Maghrébins en 1999). “Le musée ne doit pas se contenter d’exposer ce qui est déjà digéré, explique Jean Guibal, directeur de la Conservation du patrimoine en Isère. Il s’agit d’aborder ce dont on ne parle jamais. Nous essayons de lancer un débat public.” Photographies d’époque, témoignages oraux ou filmés et objets du quotidien retracent l’itinéraire de ces familles dauphinoises parties dès 1830 en Algérie et revenues plus d’un siècle après dans des circonstances dramatiques. “L’objectif est ici moins de donner une leçon d’histoire sur la colonisation et la décolonisation que de rendre compte d’une mémoire encore peu entendue et pas assez reconnue”, précise l’équipe du musée. Des senteurs d’épices, de fleurs d’oranger ou d’anis ainsi que des musiques orientales diffusées au gré des salles rythment un parcours à la fois thématique et chronologique. Celui-ci commence par évoquer l’Algérie d’avant la colonisation française, un territoire marqué par différentes vagues de populations et religions, des Berbères et Romains aux Arabes et Turcs, des juifs et chrétiens aux musulmans. Dans une tente reconstituée grandeur nature, tableaux et manuscrits relatent le fameux incident dont Charles X tira prétexte pour conquérir l’Algérie : le coup d’éventail donné en 1827 par le dey Hussei au consul de France, Pierre Deval, à propos de créances non recouvrées. Trois ans plus tard, le 14 juin 1830, 37 000 hommes débarquaient dans la rade de Sidi-Ferruch et s’emparaient d’Alger. Consacré à l’émigration dauphinoise, l’espace attenant montre les infrastructures, travaux agricoles et autres installations urbanistiques que les Français réalisèrent en Algérie.
“Étranger, oui, c’est vrai”
Dans une ambiance propice à la flânerie, bercé par des chansons populaires, le visiteur découvre ensuite les rues d’Alger, les bars où l’on se retrouvait en famille, entre amis... Il peut s’installer à la terrasse d’un café ou dans une petite salle de cinéma projetant des films d’époque tels Pépé le Moko avec Jean Gabin ou La Symphonie pastorale avec Michèle Morgan. Il faut prendre le temps de s’arrêter et d’écouter les nombreux témoignages oraux diffusés par des haut-parleurs. Des pieds-noirs y racontent leur “appartenance charnelle” à l’Algérie. “C’est mon pays, c’est ma terre, le temps ne vous console pas”, déclare l’un d’eux, tandis que d’autres énumèrent ce qui leur manque : “mon village, la tombe de mon père, cette couleur du ciel, cette luminosité” ; “le sentiment d’appartenance quand j’étais là-bas, les choses, les gens, les paysages, c’était à moi. Ici [en France], je suis en visite… Je schématise bien sûr, de façon un peu ridicule, j’en ai conscience, mais c’est un peu ça… Étranger, oui, c’est vrai…”
Placées en évidence sur le mur, des citations de Camus permettent d’exprimer la douleur et la colère. Dans un couloir blanc oppressant, en rupture avec les ambiances précédentes, une trentaine de photographies en noir et blanc décrivent la fin de la fraternité entre populations françaises et maghrébines, les premières insurrections du FLN, la répression, les attentats, tandis que résonne le discours du général de Gaulle à Alger le 4 juin 1958, avec son célèbre “Je vous ai compris”. Des paroles conciliantes qui resteront lettre morte, la situation des Français d’Algérie ne faisant que s’aggraver. Brusquement, ceux-ci doivent quitter leur terre natale. C’est le passage d’une rive à l’autre de la Méditerranée. À l’instar des rapatriés, le visiteur emprunte la passerelle d’un bateau prêt à accoster au port de Marseille. Dans des vidéos, d’autres témoins de cette histoire bouleversante expriment, quarante ans après, le souvenir du pays natal. Farid, fils de harki, journaliste et réalisateur, met en scène le destin de son père ; Martine, pied-noir partie d’Algérie à l’âge de 12 ans, se sent aujourd’hui encore “de passage” en France ; Jean anime la revue Jemmapes, destinée aussi bien aux rapatriés qu’aux Algériens... Tous tentent de préserver la mémoire d’une terre perdue à laquelle ils ne cesseront jamais de rêver.
Jusqu’au 15 septembre 2004, Musée dauphinois, 30 rue Maurice-Gignoux, 38001 Grenoble, tél. 04 76 85 19 01, tlj sauf mardi, 10h-19h et 10h-18h à partir du 1er octobre, www.musee-dauphinois.fr. Catalogue, 143 p., 18 euros.
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Les déracinés
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°176 du 12 septembre 2003, avec le titre suivant : Les déracinés