La Kunsthalle der Hypo-Kulturstiftung, à Munich, propose la plus importante monographie d’Ernst Ludwig Kirchner (1880-1938) depuis vingt ans. Celle-ci réunit près de 200 peintures, aquarelles, croquis et dessins, offrant ainsi non seulement une étude exhaustive du développement artistique et personnel de l’artiste, mais également une chronique – de la conception à la dissolution – des mouvements modernistes dont il a été l’un des fondateurs.
MUNICH - Les deux musées les plus riches en œuvres d’Ernst Ludwig Kirchner – le Brücke Museum, à Berlin, et le Musée Kirchner à Davos, en Suisse – se sont associés pour monter l’exposition commémorant le soixante-dixième anniversaire du suicide de l’artiste. Enrichie par des prêts du monde entier, il s’agit de la monographie la plus importante depuis celle de Nationalgalerie de Berlin, il y a vingt ans.
Une décennie avant la fondation du groupe Der Blaue Reiter par Kandinsky en 1911, Kirchner est étudiant à Munich, où il conçoit son “audacieuse idée de renouveau de l’art allemand”. Cherchant à se démarquer des conventions bourgeoises et académiques, il jette les bases du manifeste fondateur du mouvement Die Brücke, l’association d’artistes formée à Dresde en 1905, qui insiste sur l’expression de l’émotion aux dépens de la représentation de la réalité extérieure.
Près des deux tiers des pièces exposées à Munich sont des œuvres graphiques et des dessins, techniques essentielles pour Kirchner. Magdelena Moeller, directrice du Brücke Museum et commissaire de l’exposition, souligne d’ailleurs cette rare opportunité de les voir réunies. En raison de leur fragilité, des pièces telles que la magnifique série de gravures sur bois en couleur de 1915, provenant de la Fondation Karl et Emy Schmidt-Rottluff, ou les dessins que Kirchner a réalisés frénétiquement tout au long de sa vie, ne sont que très rarement sorties des réserves.
Retour à la nature
Les membres de Die Brücke considéraient la gravure sur bois comme le moyen d’expression le plus authentique, autant par le contact physique qu’elle requiert que par son lien direct avec la tradition germanique, notamment celle de Dürer. L’exposition montre ses premières images aux tracés sinueux et aux motifs décoratifs trahissant l’influence du Jugendstil, jusqu’aux figures déformées et anguleuses créées dans les plus beaux jours de l’Expressionnisme. Kirchner a également fait preuve d’une sensibilité particulière pour les livres illustrés – une tradition allemande remise au goût du jour par les expressionnistes – dont certains sont également présentés.
Toutes les phases de la carrière de Kirchner sont couvertes, de ses expérimentations d’étudiant jusqu’à sa vie à Berlin, sa dépression nerveuse puis sa réinsertion. Ses peintures de Dresde (1905-1911), avec leurs formes simplifiées, leurs lignes courbes et leurs couleurs électriques, révèlent l’influence des Fauves. Cependant, il opte pour une touche irrégulière et rugueuse après un court séjour à Berlin. Kirchner y rencontre pour la première fois les futuristes et entreprend de traduire dans ses œuvres les dangers et le dynamisme de la métropole florissante : la vie dans les cafés, les cabarets, les rues animées. Au cours de ces deux périodes d’intense vie citadine, Kirchner et ses compagnons, ainsi que de jeunes modèles, se retirent régulièrement dans l’île de Fehmarn et au bord des lacs du Moritzburg, célébrant un retour à la nature et un mode de vie primitif. L’abandon sensuel de ces images offre une contrepartie enjouée à ses inquiétantes vues de villes.
De nombreux autoportraits datant de 1914, un an seulement après la dissolution de Die Brücke, attestent des troubles qui agitent l’artiste face à la menace de la guerre. Après avoir souffert d’une dépression nerveuse en 1915, il quitte Berlin et s’installe à Davos. Là, et jusqu’à son suicide en 1938, il ne peint que des paysages de montagnes, malgré une brève expérience dans un style “international” très surprenant. Mais il s’agit en général d’œuvres plus calculées et contrôlées, d’où est absente l’exaltation qui se dégageait de ses premiers travaux. Magdelena Moeller remarque que les peintures de la période de Davos sont rarement présentées, même si les qualités de nombre d’entre elles ont largement dépassé ses attentes : “Tous les artistes ont fait de mauvaises peintures, mais il est intéressant de les voir ici dans le contexte de l’ensemble de la carrière de Kirchner”.
Jusqu’au 13 juin, Kunsthalle der Hypo-Kulturstiftung, Theatinerstraße 15, Munich, tél. 49 89 22 44 12, tlj 10h-18h, jeudi 10h-21h.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Les crises de Kirchner
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°79 du 19 mars 1999, avec le titre suivant : Les crises de Kirchner