Le musée revient sur l’histoire de l’Œuvre, fondé par Aurélien Lugné, dit Lugné-Poe.
PARIS - « Regardez cette haute et forte stature, ce visage glabre, cette bouche toujours souriante et volontiers ironique, ces grands yeux qui vous regardent droit ; écoutez ce ricanement perpétuel ; c’est Mr. Lugné-Poe. Il a toujours l’air de quelqu’un qui flâne et son labeur est considérable. Il a fondé l’“Œuvre”. » (Jean-Louis, Le Figaro, 30 juillet 1911). Le rideau se lève au Musée d’Orsay sur le profil ubuesque d’Aurélien Lugné, dit Lugné-Poe en hommage à Edgar Allan Poe, saisi à l’encre de Chine par André Girard. Le fondateur du Théâtre de l’Œuvre est le personnage principal du « Théâtre de l’Œuvre, 1893-1900 », exposition construite à l’image d’une pièce en trois actes dont le décorateur serait Édouard Vuillard et le dramaturge Henrik Ibsen.
Rupture avec la tradition
Paris, ambiance fin de siècle : l’anarchie pointe le bout de son nez, et le monde du théâtre aspire à l’indépendance acquise par les artistes des beaux-arts. En créant le Théâtre Libre en 1887, André Antoine bouscule les planches sclérosées de la scène parisienne. Six ans plus tard, âgé de 23 ans, son élève Lugné-Poe fonde l’Œuvre avec Camille Mauclair et Édouard Vuillard. Le jeune directeur souhaite y faire fleurir le symbolisme mené tambour battant par Henrik Ibsen, August Strindberg et Henry Bataille. S’il est vrai que ce théâtre, dont le thème principal est « le passage de l’inconscience heureuse à la conscience tragique », fait encore aujourd’hui l’objet de parodies faciles, la rupture avec la tradition a tout pour réjouir les intellectuels de l’époque. La stratégie médiatique de Lugné-Poe s’appuie sur des talents contemporains – Henri de Toulouse-Lautrec, Maurice Denis, Félix Vallotton… –, qui illustreront d’une grande inventivité programmes et affiches. À l’image du cachet imaginé par Pierre Bonnard, où l’on voit Lugné-Poe se retrousser les manches, et dont l’esquisse est ici exposée, le jeune directeur est à la fois au four et au moulin : quand il ne partage pas la scène avec sa compagne Berthe Bady, il assure de bonnes relations avec la Préfecture de police qui surveille de près ses activités – la lecture de l’un de ces rapports révèle que les trois-quarts des 1 000 spectateurs assistant à une représentation de L’Ennemi du peuple, en 1893, étaient invités…
« Merdre ! »
Cette plongée dans les coulisses de l’une des plus belles aventures théâtrales de la fin du XIXe siècle offre une savoureuse réunion d’œuvres d’art à part entière, dont quelques merveilles signées Vuillard, et d’une multitude de documents d’époque (manuscrits, lettres, photographies…). L’émulation provoquée par la concentration d’autant de talents est palpable : difficile d’ignorer le parallèle entre le splendide portrait de Lugné-Poe par Édouard Vuillard (1891) et celui de Félix Fénéon par Félix Vallotton (1896), critique et directeur de la Revue blanche et fervent adepte de l’Œuvre. Les aplats de peintures, le choix des couleurs et la composition du sujet se font largement écho. Autre collaboration historique, la première d’Ubu Roi, le 10 décembre 1896 (qui sera d’ailleurs remonté au mois de mai à l’auditorium du Musée d’Orsay) : toute une section est dédiée à l’humour potache d’Alfred Jarry et à ses personnages de Mère Ubu et Père Ubu dont le « Merdre ! » résonne joyeusement. Mais le parrain spirituel du Théâtre de l’Œuvre est bel et bien Henrik Ibsen. Doté d’impressionnantes rouflaquettes, son buste en bronze, commandé à l’artiste norvégien Gustav Vigeland, trône en père bienveillant sur la mémoire de Lugné-Poe.
- LE THÉÂTRE DE L’ŒUVRE, 1893-1900, jusqu’au 3 juillet, Musée d’Orsay, 1, rue de la Légion-d’honneur, 75007 Paris, tél. 01 40 49 48 14, www.musee-orsay.fr, tlj sauf lundi, 10h-18h, 10h-21h45 le jeudi, 9h-18h le dimanche. Catalogue, coéd. Musée d’Orsay/Éditions 5 continents, 160 p., 35 euros. - UBU ROI, version musicale pour théâtre de marionnettes, auditorium du Musée d’Orsay, mise en scène d’Ezequiel Garcia-Romeu, musique de Claude Terrasse, les 19, 21, 24 et 28 mai à 20h, les 22 et 29 mai à 16h, réservations au 01 40 49 47 50.
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Les coulisses du théâtre
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Abonnez-vous dès 1 €La verrière intérieure du flan ouest du Musée d’Orsay laisse transparaître depuis peu les silhouettes d’une inquiétante peuplade tout droit sortie d’une fête de Halloween. Invité par le directeur de l’établissement, Serge Lemoine, dans le cadre de « Correspondances », un programme qui fait intervenir des artistes contemporains dans le saint des saints de l’art du XIXe siècle, Christian Boltanski rend hommage au théâtre d’ombres du Chat Noir. Le musée a en effet récemment fait l’acquisition des zincs utilisés dans ce cabaret de Montmartre très populaire à la fin du XIXe siècle. Joel Shapiro a pour sa part jeté son dévolu sur la Danse de Jean-Baptiste Carpeaux. Sa construction formée de parallélépipèdes en bois polychromes (vert, jaune, bleu et rouge) donne une étonnante version abstraite de la sculpture.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°214 du 29 avril 2005, avec le titre suivant : Les coulisses du théâtre