La double exposition que le Musée d’art moderne de la Ville de Paris consacre à l’art des Pays-Bas au XXe siècle est d’autant plus intéressante et même utile qu’elle tend à casser le monopole de cette « orthodoxie internationale... supposée universelle » qui domine la seconde moitié de ce siècle.
PARIS - Par une curieuse rencontre entre l’idéal international d’égalitarisme qui animait l’esprit moderne et la normalisation imposée au marché par les besoins de la distribution, tout ce qui n’entrait pas dans les catégories admises se voyait, jusqu’à une date récente, réservé à la consommation locale. L’exposition, "la Beauté exacte", ouvre heureusement de nouvelles perspectives. Son titre, emprunté à Schœn-Makers (théosophe néerlandais proche de Mondrian), désigne une orientation constante de l’art des Pays-Bas depuis le XVIe siècle qui persiste jusqu’à ce jour.
L’art néerlandais de ce siècle possède sa saveur particulière mais il faut, pour l’apprécier, entrer dans des considérations historiques et saisir le fil de la tradition qui, en dépit des ruptures, commande jusqu’à ce jour une façon bien précise de voir le monde. Trois figures président à cette exposition. Van Gogh avec une seule œuvre – un autoportrait – marque une particularité constante de l’art néerlandais, dont l’autre, le paysage (de préférence plat), est signifiée d’entrée de jeu par un paysage de Jan Toorop et une marine de Piet Mondrian.
Mondrian est représenté, auprès de van Dœsberg et Bart van der Leck (tous trois animateurs de la revue De Stijl), par une série d’œuvres qui tracent son itinéraire, qui passe par une simplification formelle de plus en plus marquée et aboutit à cette simplicité extrême de l’horizontal et du vertical qui est l’essence de son œuvre.
Toorop le Javanais
La figure la plus étrange – et la plus méconnue – est certainement Jan Toorop, grand personnage de l’art néerlandais, artiste symboliste, d’origine javanaise, dont l’œuvre est souvent peuplée de silhouettes curieuses aux longs bras minces, réminiscences des marionnettes javanaises de son enfance. A ses côtés, Johan Thorn Prikker manifeste lui aussi, face au naturalisme dominant aux Pays-Bas à l’époque, une volonté de donner à la toile une organisation formelle autonome. Cette démarche, venue de France et propagée par divers médiateurs, dont Maurice Denis que Toorop connaissait et admirait, fut un puissant facteur dans l’émergence de l’abstraction.
Toorop était proche du mouvement de la Rose-Croix avant de devenir catholique, et l’abstraction d’un Mondrian, qui peut, à première vue, paraître tellement "rationnelle" et conforme à l’esprit de l’architecture dépouillée de son époque, plonge elle aussi ses racines dans l’ésotérisme et plus particulièrement dans la théosophie. C’est ainsi que Mondrian, peignant ses dunes, profitait de la solitude des plages pour prendre les poses hiératiques que recommandait son maître en théosophie.
L’exposition est composée de deux volets. Le premier, "La Beauté exacte", touche à la première moitié de notre siècle (de Van Gogh à Mondrian), le second, "Du concept à l’image", présente dix artistes néerlandais contemporains dont l’œuvre, à la surprise des organisateurs eux-mêmes, paraît offrir une continuité avec la tradition si souvent reniée : portraits et paysages y sont dominants.
La tradition du portrait
L’abstraction de Mondrian est issue de l’observation attentive du paysage de son "pays de grenouilles", comme il l’appelait. C’est également au paysage, vu sous un angle plus expressif, que se sont voués des peintres comme Jan Sluyters, Leo Gestel et Jacoba van Heemskerck. D’autres se sont consacrés, à la même époque, au portrait. C’est le cas de Charley Toorop, la fille de Jan, dont l’œuvre traduit la puissante personnalité. Les visages sculpturaux qu’elle a peints ont une force d’affirmation et même de défi. Il en va de même pour Pyke Koch, dont la terrifiante patronne de stand de tir forain avec son mufle néandertalien est difficile à oublier. Plus intimistes sont les portraits, et surtout les autoportraits de Jan Mankes (qui montre des affinités avec les primitifs) et de Dick Ket.
Ces constantes dans l’art néerlandais dérivent sans doute de ce qu’on pourrait appeler le "réalisme protestant" – différent par son esprit de celui qui s’est développé en France dans le sillage de l’idéologie laïque. Dans les pays protestants du Nord, le réalisme était moral et mystique, et c’est à la fois ce moralisme et ce mysticisme qui apparaît en filigrane dans ces œuvres d’une riche diversité.
Le musée présente également un panorama du cinéma néerlandais de ce siècle, ouvrant sur l’émouvante figure de Joris Ivens, poète des éléments, maître des rythmes et témoin toujours indigne de l’injustice sociale.
Musée d’art moderne de la Ville de Paris, jusqu’au 17 juillet.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Les constantes de l’art néerlandais
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°2 du 1 avril 1994, avec le titre suivant : Les constantes de l’art néerlandais