Ugo Rondinone, qui vient de représenter la Suisse à la Biennale de São Paulo, expose pour la première fois dans une institution française. Cet artiste de trente-quatre ans, à travers installations et vidéos, crée un monde pluriel et déstabilisant à partir de quelques figures centrales comme celle du clown. Il nous présente son exposition dijonnaise.
Comment avez-vous abordé l’espace d’exposition de Dijon ?
Ugo Rondinone : J’ai installé, à l’entrée, un grand paysage à l’encre de Chine de près de dix mètres de long sur quatre de haut, derrière lequel court un étroit couloir tapissé de bois et éclairé au néon jaune. Il mène à un vaste espace clos dont les murs et le plafond sont également recouverts de planches de contre-plaqué. La pièce est envahie par le son d’une respiration lente, tandis que des vidéos montrant des clowns immobiles sont projetées sur quatre écrans. En face du paysage, dans l’entrée, sont accrochées sur un fond kaki des photographies de mannequins féminins sur lesquels j’ai plaqué mon propre visage. Cet endroit est le point d’articulation de l’exposition, puisqu’à l’opposé du couloir, s’ouvre un troisième espace. Trois cibles colorées y sont accrochées, accompagnées de six haut-parleurs diffusant une rythmique très soutenue. Les deux espaces extrêmes sont donc très différents, l’un "méditatif", l’autre très "nerveux". Les photos et le paysage constituent le point frontière entre ces deux mondes.
Quel sens ont pour vous ces photographies de top models à votre effigie ?
Elles sont en étroite relation avec ma propre imagination, mais sans qu’une quelconque idéalisation n’entre en jeu. Je choisis simplement les mannequins en fonction de leurs attitudes. Je pourrais également utiliser des animaux, parce qu’il s’agit avant tout d’un collage superficiel. C’est une réflexion sur l’image que l’on peut renvoyer de soi-même et de sa fonction déstabilisatrice. Comme beaucoup de mes travaux, ces photographies jouent sur le réel et font perdre leurs repères aux visiteurs.
Vous introduisez dans votre travail la figure d’un clown atypique.
Le clown est une invention de la haute noblesse pour chasser l’ennui et la mélancolie de la cour. En même temps, il fonctionne comme un substitut : il a une liberté de parole que ses maîtres n’ont pas. Mes clowns, en revanche, ne bougent pas. Ils ne font que s’asseoir ou s’allonger, ne rient pas, ne disent ni bonjour ni bonsoir. Par son absence de démonstration et son désintérêt pour le monde extérieur, le personnage du clown est un autoportrait possible. Il conduit à une mélancolie vide de sens, inerte et ennuyeuse, qui se perpétue dans la vacuité d’un monde sans ironie.
UGO RONDINONE, jusqu’au 22 mars, Le Consortium, 37 rue de Longvic, 21000 Dijon, tél. 03 80 31 67 44, mardi-samedi 14h-18h.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Les clowns tristes atteignent leurs cibles
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°33 du 1 février 1997, avec le titre suivant : Les clowns tristes atteignent leurs cibles