Les Champs-Elysées sont transformés jusqu’au 14 novembre, le temps des « Champs de la sculpture 2000 », en un vaste jardin de sculptures. Organisée par la Ville de Paris, cette manifestation très fréquentée réunit cinquante-deux œuvres d’artistes contemporains, dans un choix éclectique qui tient parfois du saupoudrage. Nous avons demandé à trois d’entre eux – Daniel Buren, Lawrence Weiner et Michelangelo Pistoletto – de nous détailler leur projet et de s’exprimer sur l’exposition. Invité à y montrer une œuvre, Bertrand Lavier explique pourquoi il n’est finalement pas présent sur les Champs-Elysées.
Daniel Buren
“Je travaille avec des drapeaux depuis au moins trente ans. Cette pièce sur les Champs-Elysées me semblait être la plus simple possible et la seule intervention à l’échelle de l’avenue. Je n’avais aucune autre idée, me méfiant beaucoup d’un lieu aussi difficile et où l’on a vite fait d’être hors d’échelle, ce qui me semble être le cas de certaines des sculptures. J’ai, comme beaucoup, la mémoire, petit garçon, des Champs-Elysées à la fin de la guerre. Inconsciemment, c’est quelque chose qui a été gravé profondément dans ma mémoire. Pouvoir y changer les couleurs et travailler sur ce support est unique, puisqu’on ne peut pas le faire en dehors d’un cadre qui permet d’accepter une telle idée. En même temps, j’ai précisé que cela n’avait aucun intérêt si l’on arrêtait la pièce au rond-point des Champs-Elysées, la limite des autres interventions. Les Champs-Elysées pavoisés, c’est toute l’avenue et pas seulement un petit morceau. Lors des visites officielles, ma pièce est remplacée par les drapeaux des hôtes. Elle peut donc être interrompue. Je pense que je ne pouvais pas utiliser une seule couleur, sinon l’œuvre aurait pu se rapprocher de l’idée abstraite d’un drapeau national qui se répète. Quitte à avoir plusieurs couleurs, c’est l’arc-en-ciel, avec neuf teintes. Ce sont toutes les couleurs, à l’image des drapeaux qui s’appellent aussi “les couleurs”. Mais ce ne sont pas tous les drapeaux du monde. L’idée d’organiser cette exposition est extrêmement positive. Maintenant, sur le plan critique, il y a des pièces qui ne marchent pas, ou qui ne marchent pas ensemble, ou qui sont trop proches les unes des autres. Je ne suis pas complètement d’accord non plus – mais on ne l’est jamais dans une exposition de groupe – sur le choix, qui est sans doute trop hétéroclite. Mais comme les choses qui essaient de bousculer les normes sont rares, il ne faut pas être trop sévère. Ceci dit, d’autres idées seraient à creuser, en partant d’une utilisation de la ville pour des expositions en plein air. Les Champs-Elysées ne sont pas le lieu le plus simple, ni le plus idéal. Ce serait une autre façon de montrer à un large public des œuvres, même expérimentales, qui se font à travers le monde aujourd’hui.”
Lawrence Weiner
“J’ai choisi de montrer dans cette exposition une pièce qui correspond bien, pour moi, aux besoins de la manifestation. Elle a un sens lié aux matériaux et n’a rien à voir avec le contexte ; elle fonctionnerait partout. Cuivre, nickel et sueur donnent ensemble un alliage. Je voulais faire quelque chose de positif par rapport à la situation et expliquer, sur les Champs-Elysées, que la sueur fait partie intégrante de la fabrication des objets, qu’elle entre dans leur composition chimique. Au départ, je désirais que ma pièce soit vraiment sur le passage piéton, mais je n’y ai pas été autorisé et un compromis a été trouvé. À la dernière minute, nous sommes tombés d’accord pour que l’œuvre soit sur le côté du passage piéton. C’était ça ou rien. J’aurais eu beaucoup de succès avec une pièce sur l’avenue, et cela n’aurait pas causé d’accident. Le passage piéton semble sacré, mais ils ne savent même pas pourquoi. Cela ne répond à aucune logique. Comme j’ai accepté, je n’en fais pas une maladie. C’est important d’être invité dans une exposition avec cinquante autres artistes, mais les Champs-Elysées ne signifient rien pour moi. Ce sont juste les Champs-Elysées. Je n’ai pas l’intention de m’y promener, ni d’y faire du shopping. Ils n’ont pas non plus pour moi de connotation romantique. Je ne fréquentais pas les Champs-Elysées durant toutes les années où j’étais en France. Seul Paris est spécial. Je ne suis pas un critique et ce n’est pas mon métier de dire ce que les autres artistes auraient dû faire ou ne pas faire. Je pense que beaucoup n’ont pas pris en compte le contexte et ont juste agi comme s’ils étaient dans un aéroport, avec des vitrines et leurs petits espaces. Certains ont cependant essayé de s’intégrer dans la ville.”
Michelangelo Pistoletto
“J’ai choisi cette œuvre parce que j’étais en train de la réaliser quand on m’a invité. C’est une pièce qui peut se placer, par ses dimensions, dans un lieu public, mais en même temps, elle n’est pas monumentale, ce que je voulais éviter. Elle a été réalisée dans la prison de Milan et est montrée pour la première fois sur les Champs-Elysées. C’est une idée qui date de 1976, qui était dans mon livre 100 expositions du mois d’octobre 1976. Ce qui m’intéresse, c’est l’idée du renversement du concept de prison, de jouer sur les notions de prison et de liberté, dans une action conceptuelle. Il y a un espace libre à l’intérieur, mais on ne peut pas y rentrer. Pour moi, c’est un peu comme un miroir spatial, qui est ouvert à toute chose, qui n’est rien mais qui est tout. C’est une œuvre physique, mais conceptuelle. Les Champs-Elysées sont un lieu important, beaucoup de gens y sont attirés. C’est un lieu intéressant, mais je n’ai pas d’idée sur l’exposition puisque je ne l’ai pas encore vue.”
Bertrand Lavier
“Je ne suis pas dans l’exposition parce que l’équipe technique a été incapable de faire le minimum pour que je puisse installer ce que je devais y faire. Je pense qu’ils ont fait ce qu’ils pouvaient, et c’est bien le problème. Mon projet devait être sur la place de la Concorde, donc un petit peu décalé par rapport à l’alignement de sculptures de la contre-allée, parce que je n’avais pas du tout envie d’être dans cette brochette. Mon projet, que j’ai déjà réalisé à Dijon, devait être constitué d’une grue militaire enguirlandée avec des décorations de Noël. Je voulais réaliser cette pièce-là. Je leur avais dit que je trouvais que c’était sa place, ce en quoi ils n’étaient pas contre. Il a fallu ensuite déployer toute une logistique pour trouver cette grue, et ils n’y sont pas arrivés. J’aurais pu me battre davantage si j’avais vu qu’il y avait un enjeu intéressant. Au vu de ce qui s’est passé, je ne suis pas déçu parce que je trouve l’exposition assez mauvaise. C’est une espèce de caricature de communication avec les cinq continents et une mauvaise lecture des “Magiciens de la Terre”. Je crois que mon œuvre était d’un autre ordre par rapport aux échelles des sculptures qui sont sur les Champs. Elles sont, sauf exceptions, trop petites, ou pas en rapport. Les artistes qui s’en sortent le mieux sont dans les alvéoles de verdure, un peu à l’écart.”
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Les Champs du signe : quatre artistes témoignent
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°90 du 8 octobre 1999, avec le titre suivant : Les Champs du signe : quatre artistes témoignent