La Fondation de l’Hermitage propose la première exposition suisse consacrée à Caillebotte.
LAUSANNE - La rétrospective Gustave Caillebotte (1848-1894) au Grand Palais, à Paris, en 1994 avait permis la réhabilitation d’un membre actif du groupe impressionniste. Le public découvrait un peintre dont le sens aigu de l’observation dressait un portrait cru de la vie bourgeoise, mais aussi ouvrière, de Paris au XIXe siècle. Une dizaine d’années plus tard, la Fondation de l’Hermitage, à Lausanne, lui consacre sa première exposition monographique en Suisse. « Gustave Caillebotte. Au cœur de l’impressionnisme » présente ici un pan méconnu du travail de l’artiste, lequel était autant fasciné par l’urbanisme d’Haussmann que par la navigation à voile, la philatélie ou l’horticulture.
Paris sert de point de départ à un accrochage thématique et chronologique. Après une brève incursion dans les œuvres de jeunesse, dont l’Intérieur d’atelier avec poêle (1872-1873 ?) rappelle la formation strictement académique de l’artiste mais aussi son intérêt pour le japonisme, le Paris d’Haussmann est comme reconstitué. Il est vrai qu’une telle révolution urbaine ne pouvait échapper à l’œil géométrique, voire mathématique, de Gustave Caillebotte – le peintre révélera plus tard son talent d’architecte en dessinant les plans de vingt-cinq bateaux. Les scènes de boulevards tissent un décor aux couleurs sèches, le blanc crème de la pierre de taille pâlissant au contact du gris du bitume et du bleu sourd des toits. Le noir est réservé aux personnages, dont la silhouette au chapeau haut de forme incarne tantôt l’observateur, tantôt l’observé. Issu de l’ancienne collection d’Oscar Ghez – qui attend toujours un lieu d’exposition adapté –, Le Pont de l’Europe (1876) domine la sélection. La composition magistrale de ce tableau n’a d’égale que celle de l’emblématique Rue de Paris, temps de pluie (1877), dont le Chicago Art Institute n’a malheureusement pas accepté le prêt. Le couple au parapluie apparaît sous forme d’une esquisse venant du Musée Marmottan à Paris. Le Musée d’Orsay n’a pas eu à se séparer de ses Raboteurs de parquet (1876), une seconde version, provenant d’une collection particulière, figure ici.
Mais quittons Paris pour Yerres, en Essonne. Jusqu’en 1879, la maison de campagne des Caillebotte sera le cadre des célèbres scènes de canotiers, périssoires et baigneurs. Provocant, Caillebotte poursuit son travail autour de la perspective et prend pour point de vue celui d’un rameur ou d’un nageur. Le spectateur est comme jeté à l’eau. Réunis grâce à plusieurs prêts américains, huit tableaux aquatiques débordent de fraîcheur dans la salle la plus réussie du parcours. Le cadre bucolique n’empêche pas le peintre de s’adonner à son penchant mathématique, en témoigne le rythme ternaire des Périssoires (1877, Milwaukee Art Museum) : trois bateaux, trois hommes, trois arbres… Ces toiles sont également à l’origine du succès du peintre. Plus rarement exposés, une série de pastels, dont la vingtaine répertoriée s’inspire largement du travail d’Edgar Degas, laisse percevoir une réflexion sur les couleurs et le cadrage. Plus loin, un ensemble de dessins préparatoires révèle le soin académique de l’artiste impressionniste, à l’image, encore une fois, d’Edgar Degas. Par ailleurs, l’esprit du peintre des danseuses se reconnaît dans les cadrages inopinés, car résolument subjectifs, des compositions. Une originalité que Caillebotte applique à ses natures mortes et à ses marines normandes, où les régates naissent d’un savant équilibre entre la terre, le ciel et la mer. Cette singularité n’apparaît pourtant pas dans ses paysages impressionnistes pur jus. Caillebotte n’a ni la touche ni la palette d’un Claude Monet et certains de ses tableaux frôlent alors l’ennui. Ceux datant des années 1880 sont la preuve de l’isolement de l’artiste, à l’heure où Seurat et Signac théorisaient sur le pointillisme.
Japonisme et photographie
La quarantaine florissante, Caillebotte se passionne pour l’horticulture dans sa résidence du Petit-Gennevilliers. Son jardin lui permet de revenir à la source du japonisme, dont les Capucines (1892) sont un splendide exemple, et de produire une peinture décorative loin, très loin du boulevard Haussmann. Malgré une grande amitié le liant à celui-ci, Gustave n’a rien du patriarche à la barbe blanche de Giverny. Il se distingue par son art de la mise en scène. L’influence de la photographie n’est pourtant que vaguement abordée dans l’exposition. Une absence regrettable quand on connaît l’intensité des liens qui unissaient Gustave à son frère Martial, photographe. L’école impressionniste s’efforçait de saisir la vitesse de la modernité, une fugacité propre à la photographie. La congestion cérébrale qui foudroya Gustave à l’âge de 45 ans nous empêchera de connaître le photographe exceptionnel qu’il aurait pu être.
Jusqu’au 23 octobre, Fondation de l’Hermitage, 2, route du Signal, Lausanne, tél. 41 21 320 50 01, www.fondation-hermitage.com, tlj sauf lundi (ouv. les 1er août et 19 sept.) 10h-18h, 10h-21h le jeudi. Cat., éd. Fondation de l’Hermitage/Bibliothèque des arts, Lausanne, 192 p., env. 35 euros, ISBN 2-88453-123-8.
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Les canotiers sur le lac Léman
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°219 du 8 juillet 2005, avec le titre suivant : Les canotiers sur le lac Léman