PARIS
Collectionneur, peintre et sculpteur amateur, le jeune Gauguin fait son apprentissage aux côtés d’artistes qui vont clairement l’influencer à ses débuts , notamment Degas et Pissarro.
Très jeune, Gauguin manifeste un intérêt prononcé pour l’art. À la mort de sa mère – il est alors âgé de 19 ans –, il est mis sous la protection du photographe Gustave Arosa, grand collectionneur de peinture, qui possède des œuvres de Delacroix, Courbet, Jongkind, Corot, Pissarro… Un épisode capital dans l’existence du jeune homme, et des tableaux qui le marqueront à vie.
Il commence à peindre en amateur, principalement l’été, où il s’adonne à la peinture en plein air. L’année 1873 est décisive. Il épouse Mette Gad, une jeune Danoise aisée – avec qui il aura cinq enfants –, et c’est à ce moment-là qu’il produit ses premières huiles, éminemment marquées par les œuvres qu’il a pu contempler chez Arosa.
L’exemple du photographe va éveiller en lui le désir de collectionner lui-même. Peintre à ses heures, il travaille en même temps chez l’agent de change Bertin. Ses rentrées d’argent l’encouragent à acquérir des œuvres de Cassatt, Sisley, Guillaumin ou Pissarro. Renoir l’attire moins, les compositions très structurées de Cézanne l’intéressent plus.
« Un aimable peintre du dimanche »
Le déclic a lieu lorsqu’il se rend en 1874 à la première exposition du groupe impressionniste. Dès lors, il devient un fervent défenseur de cette peinture indépendante et de ces artistes en marge du circuit officiel. En 1877, il s’initie au modelage – il habite alors chez le sculpteur Bouillot – et sa toute première œuvre exposée avec le groupe – en 1879 – est un petit buste représentant son fils Émil. La peinture n’est encore qu’une activité annexe, même si elle occupe la majeure partie de son temps libre.
« Jusqu’en 1883, Gauguin est un aimable peintre du dimanche, autodidacte, suffisamment doué en même temps qu’assez peu subversif pour être admis au salon avec un paysage de Viroflay dans le style de l’école de Barbizon, en 1876, l’année même où Manet y est refusé », écrit Françoise Cachin dans son ouvrage sur l’artiste. Gauguin lui-même, plus tard, considérera les œuvres produites jusqu’en 1886 – une bonne centaine de toiles – comme des œuvres de jeunesse, d’amateur, présentant assez peu d’intérêt.
Camille Pissarro, l’ami et le conseiller
Au cours des années 1870, Gauguin se montre en effet moins novateur, moins libre en peinture qu’en sculpture où il laisse davantage place à l’expérimentation (essais de stylisation, polychromie). Ses tableaux sont dans une veine impressionniste, le plus bel exemple étant sans doute Mette cousant (1878), une toile intimiste à la palette claire, lumineuse, dans une atmosphère qui évoque Berthe Morisot. Il y a aussi, déjà, quelque chose de Degas et surtout de Pissarro, qui a peint la même année un portrait proche (Madame Pissarro cousant).
En 1879-1880, les affinités de la peinture de Gauguin avec celle de Pissarro, son aîné, sont évidentes. Les deux artistes se fréquentent régulièrement, deviennent amis. Gauguin est introduit dans le cercle des impressionnistes par Pissarro – c’est par lui qu’il rencontre Monet, Degas et Renoir –, et exposera régulièrement à leurs côtés. Il participe à cinq expositions sur huit entre 1880 et 1886, davantage que Renoir ou Sisley.
Entre 1879 et 1882, Paul Gauguin achète de nombreux tableaux, dont la plupart sont des toiles impressionnistes. Dans le même temps, il continue à sculpter et peint d’une touche vive, brève, privilégiant les tonalités harmonieuses, plus douces que franches. Ses nus et ses natures mortes évoquent Degas dans le cadrage et la composition (Intérieur rue Carcel et Enfant endormi en 1881, par exemple). Gauguin admire la modernité et l’esprit indépendant de ce dernier.
La rupture avec sa vie bourgeoise
En 1883, dans un contexte de crise financière, Paul Gauguin quitte le monde des affaires pour se consacrer pleinement à son art. Il commence d’ailleurs à connaître un certain succès. Il part à Rouen, puis à Copenhague, mais revient à Paris en 1885, où il rencontre des problèmes familiaux et financiers. Il est décidé à essayer de vivre de sa peinture, de s’y plonger corps et âme. Il est doué, mais ne se démarque pas encore pleinement de ses camarades.
Autour de 1885, sa palette se fait plus contrastée, les couleurs plus fortes et ses compositions gagnent en structure. La couleur, utilisée davantage en aplats qu’en petites touches, commence à construire les compositions. Les sujets restent similaires – des paysages, des portraits, des natures mortes –, mais donnent lieu à des recherches formelles plus audacieuses. Sa peinture prend une nouvelle dimension, une autre profondeur. Sur la forme du moins, car les thèmes restent naturalistes.
Les débuts de sa phase post-impressionniste
Au bout du compte, il faudra attendre une dizaine d’années pour découvrir un Gauguin plus « intérieur », tourné vers le mysticisme et le symbolisme, renonçant à l’esthétique impressionniste et poursuivant sa propre voix.
Camille Pissarro va le pousser à réinventer la nature, à la dépasser. « Il arrivera un moment où tu seras étonné de la facilité avec laquelle tu retiendras les formes, et, chose curieuse, les observations que tu feras de mémoire auront une puissance bien plus grande, bien plus originale que celles faites directement sur la nature », lui dira un jour son maître et ami.
Un commentaire on ne peut plus visionnaire, lorsque l’on considère la peinture de Gauguin dans la seconde moitié de sa carrière.
1848 Naissance à Paris. Très jeune, il réside à Lima (Pérou) avec sa famille. 1871 Agent de change à la bourse de Paris. Avec sa femme Mette et ses enfants, il mène une vie confortable. 1876 Il se lie d’amitié avec Camille Pissarro. 1879 Première participation à l’exposition des impressionnistes. Il y exposera jusqu’en 1886. 1882 Il cesse toute activité professionnelle et va vivre chez sa belle-famille à Copenhague. 1885 De retour en France, il s’installe en Bretagne. 1891 À court d’inspiration et d’argent, il part pour Tahiti. Sa production s’intensifie. Il y restera 4 ans. 1895 Après une vente infructueuse de ses œuvres à Paris, il repart pour Tahiti, dépressif et endetté. 1901 Il s’installe aux îles Marquises, où il épouse sa jeune (14 ans) muse tahitienne. 1903 À 55 ans, il meurt à Atuona, aux îles Marquises.
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Les années de formation du jeune Gauguin
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Abonnez-vous dès 1 €Informations pratiques L’exposition «Gauguin and Impressionism» se tient au Kimbell Art Museum de Fort Worth au texas (Etats-Unis) jusqu’au 26 mars, tous les jours sauf le lundi, mardi jeudi et samedi 10h-17h ; vendredi 12h-20 h et dimanche 12h- 17h. Tarifs : 5 $ du mardi au jeudi, 10 $ du vendredi au dimanche. Kimbell Art Museum, 3333 Camp Bowie Boulevard, www.kimbellart.org. Les collections permanentes font la part belle aux artistes français. De Boucher à David et de Delacroix à Corot, près d’une cinquantaine d’œuvres.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°577 du 1 février 2006, avec le titre suivant : Les années de formation du jeune Gauguin