NANCY
Présentée au Musée des beaux-arts de Nancy, une superbe exposition dévoile une immense famille de sculpteurs, les Adam, dont les membres œuvrèrent au XVIIIe siècle pour les cours européennes sur trois générations.
C’était un temps où tout était affaire de cartes. Cartes géographiques et cartes politiques, souvent les mêmes, car la fragilité des frontières morcelait une Europe kaléidoscopique, dont le duché de Nancy fut longtemps un maillon crucial, car à la croisée – littérale et symbolique – des rivalités. Cartes à jouer car, au grand jeu des sept familles, se firent et se défirent les régimes au gré des mariages et des héritages, quand le monde ne cessait de rebattre les cartes… Or, c’est précisément une famille qui, à la faveur de sollicitations nombreuses – venues de Versailles, de Rome ou de Potsdam –, offrit une grande vitalité esthétique aux duchés lorrains, lesquels s’apprêtaient à perdre définitivement leur indépendance et à rejoindre le royaume de France. Les Lumières, comme un splendide coucher de soleil.
Fondateur de la dynastie des Adam, Jacob Sigisbert (1670-1747) œuvre au service de la cour du duc Léopold de Lorraine, qui vient de prendre possession de ses terres après l’occupation française. Nombreux, ses bustes réalistes et ses statuettes en terre cuite composent un corpus cohérent qui s’étoffe aujourd’hui de plusieurs pièces à la faveur de comparaisons stylistiques avec les sculptures ornant la façade de sa demeure nancéenne, véritable abrégé de son talent protéiforme. Dans la famille Adam, les enfants, et en particulier les trois fils de Jacob Sigisbert, se distinguent par leur talent. Lambert Sigisbert (1700-1759), pensionnaire à Rome, propose des projets pour la fontaine de Trevi et la basilique Saint-Jean-de-Latran, reçoit la commande de bustes imprégnés par le Bernin et, plus encore, conçoit avec ses deux frères le monumental groupe rocaille de plomb ornant le bassin homonyme du parc de Versailles (Neptune et Amphitrite, 1736-1740). Envoyées comme cadeaux diplomatiques par Louis XV, sa Chasse et sa Pêche rejoignent Potsdam quand la marquise de Pompadour lui commande une délicieuse Poésie lyrique. Ses deux frères – Nicolas Sébastien (1705-1778) et François Gaspard (1710-1761) – séjournent également à Rome mais, tandis que le premier livre des œuvres religieuses et le monument funéraire de la défunte reine Catherine Opalińska, épouse de Stanislas Leszczyński, le second devient le Premier Sculpteur du roi Frédéric II, dont il embellit le château de Sanssouci de chefs-d’œuvre mythologiques (Minerve, 1760).
Puissant et élégant, le style des Adam culmine dans la génération suivante, et en particulier dans l’art de Claude Michel, dit Clodion (1738-1814), neveu des précédents. Sa formation chez Pigalle et son inspiration antique enfantent alors des joyaux de grâce (Léda et le Cygne, vers 1782) qui éclipsent la veine galante de ses deux frères – Sigisbert François et Pierre Joseph – et le voient prisé par les collectionneurs et plébiscité par l’Empire. Clodion, qui n’en portait plus le nom, confirmait de la famille Adam le talent qui, érodé par les ingratitudes du temps, est enfin célébré par cette splendide exposition nancéenne.
Première œuvre du séjour romain de l’artiste, vraisemblablement commandée par le marquis de Polignac avant qu’elle ne rejoigne les collections prussiennes de Potsdam, Neptune trahit la virtuosité de son auteur, dont le ciseau joue avec le marbre et les effets de surface à l’instar du Bernin. Conçu en 1727 comme le pendant d’une Amphitrite voluptueuse, ce buste de la divinité marine préfigure le grand groupe en plomb que l’artiste, associé à ses deux frères, réalisera pour le bassin du château de Versailles. D’une partie contenant le tout.
"Léda et le Cygne" de Clodion
Le visage innocent et le corps gracile dénoncent la jeunesse de Léda, la belle épouse du roi de Sparte que Jupiter, transformé en cygne, vient séduire. L’animal, gonflé par le désir, semble menacer l’équilibre de la jeune femme, qui prend appui sur un tronc d’arbre tandis qu’une touffe de joncs permet de masquer habilement son sexe. Subtile, cette tension entre pudeur et lascivité est servie par un modelage virtuose, capable de restituer incomparablement l’anatomie et d’accueillir des ombres légères. De la grâce faite chair.
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Les Adam, belle famille
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°746 du 1 septembre 2021, avec le titre suivant : Les Adam, belle famille