Les expositions thématiques n’ont pas bonne presse, à moins de prétendre n’être rien de plus qu’un rassemblement subjectif d’œuvres d’art, sans rien proposer du tout.
Et pourtant elles sont souvent plus enrichissantes que les expositions collectives, vagues, qui tiennent plus de la foire ou du salon d’art contemporain que d’une véritable proposition. En consacrant une exposition au « décoratif dans l’art occidental du XXe siècle », le Musée d’Art moderne de Villeneuve d’Ascq aborde l’un des thèmes les plus séduisants mais aussi les plus complexes que l’on puisse imaginer. Et il se donne les moyens, à la fois intellectuels et matériels, pour arriver à proposer un ensemble cohérent d’œuvres, parfois majeures, envisagées en partie d’un point de vue nouveau. La notion de décoratif est suffisamment riche pour pouvoir donner naissance à plusieurs expositions de ce type. Le parti qui a été choisi ici est sans doute le plus simple : même substantif, décoratif renvoit encore à l’adjectif, et donc à la notion de décor, voire d’ornement. L’historien de l’art américain T.J. Clark a écrit, il y a une quinzaine d’années, que le « décoratif est le mauvais rêve du modernisme » : c’est exactement ce que cette exposition illustre. Les œuvres choisies aussi bien dans un passé historique (avec Matisse, Léger ou Van Doesburg) que dans la période plus récente (avec notamment un grand nombre de projets in situ, dont on retiendra par exemple ceux d’Hélène Agofroy, de Ghada Amer ou de Daniel Dezeuze, souvent sous forme de tapisserie ou de travail sur des supports tirés de la décoration d’intérieur), le sont surtout pour ce qu’elles mettent à mal les séparations académiques entre le domaine des beaux-arts et celui des arts appliqués. Les contradictions sont mises en valeur, qui partent de ce paradoxe que l’art moderne est né d’une volonté de purification, pour évacuer de l’œuvre d’art tout ce qui n’était pas uniquement réflexion esthétique, et qu’il a rapidement abouti à une confusion avec l’architecture ou le design. Les partis pris plus ironiques sont également soulignés, et l’on aura ainsi le plaisir de revoir une réactualisation de la grande installation de Présence Panchounette autour d’un canapé en cuir noir de Knoll et une toile de Soulages (1989). Mais le décoratif est ici, comme dans le livre du même titre écrit par Jacques Soulillou – conseiller scientifique de l’exposition – pensé d’abord comme une catégorie formelle, au moins pour l’art de la première moitié du siècle. Il est ainsi rapporté d’abord à une question de moyens, alors que Matisse avait su très tôt le penser comme une question de fins – d’une manière certes plus exigeante que « l’esthétique relationnelle » d’un Rirkrit Tiravanija qui pourrait y faire songer aujourd’hui –, en le définissant comme une façon de « canaliser l’esprit du spectateur de manière à ce qu’il s’appuie sur le tableau mais puisse penser à tout autre chose (...) le retenir sans l’abrutir, le conduire à éprouver la qualité du sentiment que vous avez voulu exprimer. » Cette conception thérapeutique du décoratif est sans doute ce qui a le plus de prix, c’est peut-être aussi celle qu’il est le plus difficile à montrer...
VILLENEUVE D’ASCQ, Musée d’Art moderne, jusqu’au 21 février, cat. 250 p., 220 F.
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L’envers du décor
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°501 du 1 novembre 1998, avec le titre suivant : L’envers du décor