Depuis 1990, plusieurs institutions prestigieuses se sont livrées une bataille farouche afin d'exploiter l'ouverture des musées et des archives soviétiques à l'Occident, l'enjeu étant, outre la possibilité unique d'élaborer quelques belles rétrospectives liées aux grands noms de l'avant-garde russe, de susciter la vente voire la donation d'œuvres d'art. Dans cette âpre concurrence, le MoMA vient de remporter une manche, en préparant, avec beaucoup de minutie et dans le plus grand secret, une magnifique exposition consacrée à Alexandre Rodchenko. Avec près de trois cents pièces – la plupart inédites – issues essentiellement des musées russes et des archives Rodchenko et Stépanova, cette exposition nous entraîne au sein de l'une des œuvres les plus complexes de ce siècle. Dans les premières salles, le visiteur découvre combien Rodchenko s'est immédiatement livré à une attaque en règle contre la peinture dont il pronostique la mort à travers son fantastique triptyque Couleur rouge pure, couleur jaune pure, couleur bleue pure de 1921. Dès lors, s'ouvre une seconde exposition composée d'expérimentations, de sculptures au vocabulaire inédit, d'essais typographiques, d'affiches révolutionnaires. Durant les années vingt, il ne cesse de réaffirmer tout au long de ses textes, de ses cours et de ses prises de position, que les pratiques artistiques doivent désormais se modeler sur la dimension sociale de la culture. Rodchenko devient désormais l'un des instigateurs du constructivisme, cet art au service du socialisme. C'est dans ce cadre que la photographie prend chez lui toute son importance. Destinée à remplacer la peinture – cette invention bourgeoise considérée comme sans intérêt dans une société régie par le communisme – elle permet, plus que tout autre médium, d'élaborer un vocabulaire plastique moderne. La suite est malheureusement connue : l'éviction progressive de Rodchenko de la scène artistique durant les années trente et sa mort solitaire en 1956. Cette exposition-événement comporte une étonnante section photographique – organisée par Peter Galassi –, qui s'articule autour d'images originales, souvent inédites, rythmant le parcours. Magdalena Dabrowski et Leah Dickerman, les deux autres commissaires, ont de leur côté effectué un superbe travail historique en retranscrivant visuellement, de salle en salle, l'incroyable énergie d'un homme qui estimait que le talent d'un artiste révolutionnaire résidait dans sa capacité à inscrire dans la société les formes nouvelles de la création.
NEW YORK, Museum of Modern Art, jusqu'au 6 octobre, cat. 336 p., 431 ill. coul., 32,50 $.
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L'enjeu Rodchenko
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°499 du 1 septembre 1998, avec le titre suivant : L'enjeu Rodchenko