À Gand, l’artiste belge met le chaos du monde en pause dans une vaste installation immersive qui mêle les techniques et les médiums.
Gand (Belgique). C’est au XVIe siècle que tout a commencé à aller de travers. C’est alors que l’Acne Vulgaris, cratère symbolique qui permettait l’accès à un monde circulaire et harmonieux a été bouché par les ordures et les déchets produits par les Hommes. L’humanité a alors perdu le lien entre son âme et le monde naturel, qui sont partis tous deux à la dérive, chacun de leur côté.
Bienvenue dans le monde de Joris Van de Moortel où l’imagerie et les obsessions des artistes du XVIe siècle entrent en collision avec notre monde contemporain sur une bande-son qui résonne d’échos de riffs de guitares et de roulements de batterie.
Artiste belge né en 1983 et travaillant aujourd’hui à Anvers, Joris Van de Moortel est un créateur pluridisciplinaire qui partage sa pratique entre musique, performance et arts visuels.
Invité par le Stedelijk Museum Voor Actuele Kunst (SMAK), Joris Van de Moortel a préféré plutôt qu’une rétrospective convenue, présenter une installation avec des œuvres récentes, un foutoir céleste qui transforme dans son creuset alchimique le chaos du monde. Il y déploie, dans une profusion de détails profanes, sa vision de l’enfer, un enfer tourmenté certes, mais vibrant de couleurs et amplifié par l’électricité des guitares. Comme dans une cathédrale, les fenêtres de la grande salle, couvertes d’œuvres imprimées sur Plexiglas, laissent passer de la lumière colorée qui transforme l’expérience de l’espace. Dans un semblant d’ordre, on croise des guitares, des amplis, des mannequins, des néons de couleur, des bougies votives, des bouteilles de vin de messe, échos des performances passées. Les peintures sont placées en hauteur comme dans les musées au XIXe siècle. Les murs tendus d’une toile imprimée de motifs et de personnages enchevêtrés achèvent cette impression d’immersion dans un univers foutraque. Une série d’aquarelles, éclairées d’une bougie électrique solitaire, placées dans des cadres sculptés par l’artiste, se succèdent comme un chemin de croix païen. Sur une table traîne un jeu de tarot où l’artiste a remplacé les 22 arcanes par des images et personnages extraits de son œuvre. Dans les salles latérales, les peintures se retrouvent à hauteur du regard, de même que des sculptures en bronze. Il y a dans son trait, comme dans sa vision du monde une énergie obsessionnelle et tourbillonnante qui emmène les visions et les personnages dans ses éruptions picturales et sonores.
Loin de se plonger uniquement dans le XVIe siècle, l’art de Joris Van de Moortel est fondamentalement hétérogène puisqu’on peut y retrouver des réminiscences de William Blake (1757-1827), du symbolisme, surtout Gustave Moreau (1826-1898), de James Ensor (1860-1949) ou même dans ses fonds dessinés d’Alechinsky (né en 1927) à qui l’artiste vouait une grande admiration lorsqu’il étudiait encore à Sint-Lukas à Gand.
Représenté par la Galerie Nathalie Obadia, il y exposera ses œuvres à Bruxelles en octobre 2024, puis à Paris en mai 2025.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°642 du 1 novembre 2024, avec le titre suivant : L’Enfer sur Terre selon Joris Van de Moortel, au SMAK