Première guerre moderne, la Grande Guerre est aussi celle qui a marqué la fin de la peinture montrant l’héroïsme des champs de bataille pour celle figurant le carnage. En Allemagne notamment.
Les salles du musée Maillol sont un peu tristes, la circulation pas bien fluide, le parcours désuni, la technique dominante a priori aride. Et pourtant, on aimerait en voir davantage.
On ressort même fasciné et essoufflé par ces « Années noires ». Il faut y prendre son temps et s’attarder devant chaque coup de crayon, chaque scène de bataille, de tranchée, d’orgie, de rue, de bordel, de comédie et de misère.
Rythmées en deux moments – pendant et après la guerre –, ces années-là laissent aux artistes allemands le soin de prendre en charge l’histoire de plein fouet : le trou de la Grande Guerre, l’humiliation de la défaite, l’espérance de la révolution spartakiste, sa désillusion suivie de la si fragile république de Weimar sur fond de marasme économique.
La société allemande entre la Première Guerre et la fin de la république de Weimar (1933)
Max Beckmann, Otto Dix, George Grosz et, dans une moindre mesure, Ludwig Meidner sont les quatre artistes témoins de l’exposition qui se propose de réévaluer le lien agité entre l’art et l’histoire. À suivre les métamorphoses de leurs traits, de la première tranchée à la propagande naissante, de l’angoisse de la métropole à la violence sociale des années de dépression, du pathos au grotesque, il est clair que l’histoire se charge en retour de nourrir leur activité créatrice. Tous quatre font l’expérience du combat à distances variables de la ligne de front. Tous quatre sont durablement marqués/désaxés et s’emploient à en décrire l’effroyable fracas. Et tous quatre y trouvent finalement de quoi fixer leur vocabulaire artistique.
Ainsi Otto Dix, qui s’engage en première ligne, s’emploie sans relâche à produire des images et à fournir une incroyable somme de croquis aussi dantesques que stylistiquement inconstants. Dix encore qui résiste à l’histoire en train de se réécrire dès 1918, et se charge avec ce qui est devenu un vérisme vigoureux, critique et tranchant, de décrire ce que la guerre a laissé : une société défigurée et violente. Une société aussi laide et perverse que les demi-mondaines, adjudants, matelots, prostituées et bourgeois grotesques que lui, Grosz ou Beckmann jettent dans le tumulte de la grande ville.
Au final, le parcours prudent et bref veut éviter le cadre des mouvements artistiques. Et s’il contourne étrangement dada, il se glisse tout juste entre la fin de l’expressionnisme et les canons mal définis de la Nouvelle Objectivité pour livrer un goût de fin de partie comme une seule et longue note d’un bout à l’autre de l’exposition.
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L’enfer des tranchées
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°598 du 1 janvier 2008, avec le titre suivant : L’enfer des tranchées