PARIS
Offrande au Bouddha, parfum de femme, « parfum de littérature », le Musée Cernuschi embarque pour l’empire des sens avec un voyage parmi les senteurs de Chine.
Paris. Déjà dans l’Inde ancienne, les adeptes de l’hindouisme considéraient qu’écouter l’encens brûler favorisait une perception de la conscience. Aussi éphémère et fragile que l’existence humaine, l’encens se consume à la mesure du temps qui passe… Savante composition de bois précieux, résines odorantes, épices et plantes aromatiques, l’encens embrasse le feu et l’air, l’être et la matière. Une centaine de pièces de la collection du musée de Shanghaï présentées pour la première fois en Europe et une vingtaine autres provenant du Musée des arts de l’Asie de la Ville de Paris témoignent de cet engouement deux fois millénaire en Chine. L’encens embaume en premier lieu les espaces sacrés. Ses fumées offertes aux divinités du taoïsme et présentes dans les célébrations confucianistes sont associées à l’enseignement du Bouddha. Cette offrande dans les cérémonies bouddhiques – particulièrement lors de rituels ésotériques de purification ou funéraires – est aussi une méthode de méditation. Ses vapeurs fluides et suaves calment l’esprit. Ses effluves stimulent les individus à saisir la vacuité du monde.
En s’imprégnant de paysages olfactifs et artistiques, l’exposition du Musée Cernuschi traverse les temps passés d’une Chine impériale en menant le public par le bout du nez. Pensé classiquement de manière chronologique, de dynastie en dynastie, le parcours muséographique fait la part belle aux brûle-parfum. De tailles et de formes variées, ces objets aux usages rituels ou profanes, sont magnifiquement travaillés par des maîtres orfèvres. Un ensemble de peintures et de calligraphies éclaire cette expérience à la fois spirituelle et épicurienne. Sous les Ming, les lettrés s’entichent de l’encens. Véritable plaisir d’esthète, la subtilité particulière de chaque sorte participe à la vie mondaine. Il faut dire que certains bois d’encens étaient plus chers que l’or d’où la préciosité et la rareté de ces matières. Dans la sphère privée, il servait à parfumer les vêtements ou les cheveux, mais pas seulement. Le conseiller scientifique, Frédéric Obringer, mentionne un étonnant procédé de parfumage par absorption, qui consistait à avaler un mélange de différents composants. Avec le temps, le corps exhalait petit à petit le parfum.
Pour piquer nos sens, cinq bornes olfactives jalonnent l’exposition. Les fragrances apostrophent les visiteurs. Elles sont puissantes, lourdes, capiteuses, presque animales, loin de nos vaporeuses eaux de parfums. Le bois d’aigle, le bois de santal, le musc, le camphre prévalent. C’est François Demachy, parfumeur créateur de la maison Christian Dior, qui a exploré ces parfums anciens de l’Empire du Milieu pour les réinterpréter avec, dans la dernière salle, une note contemporaine, plus florale fleurant la mandarine.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°498 du 30 mars 2018, avec le titre suivant : L’encens, un art de vivre chinois