De Rodin à Verdi, de Nadar à Delannoy, Hugo inspira toutes les formes artistiques. Retour sur la fortune esthétique d’un homme dont la plume, quand elle n’écrivait pas, dessinait brillamment.
Le XIXe siècle verra nombre d’écrivains défendre des peintres, les premiers assurant une assise
théorique aux seconds qui, en retour, peignent leurs promoteurs littéraires. Baudelaire-Delacroix, Zola-Manet : des couples esthétiques notoires se forment. D’autant que les intérêts sont multiples et souvent communs. Hugo sait que la gloire passe par l’indépendance mais, poète, il sait également trop bien qu’indépendance ne rime pas avec autonomie. Aussi, la construction obsédante de sa notoriété passa-t-elle par une distance calculée envers ses contemporains qui tentèrent invariablement de saisir cette incarnation iconique du génie romantique.
Hugo sut être un Pygmalion, aimant ce qu’il faisait et faisant ce qu’il aimait. Afin de mieux abriter sa propre légende, toujours. « Ego Hugo », se plaisait-il à dire. Vivre avec son temps et se rêver du côté des dieux, finalement. Et l’art n’aurait-il pas été ce qui lui aurait permis de passer du Panthéon au Parthénon ?
Hugo, un modèle des genres
Tel un dieu dont il convenait de laisser des souvenirs pieux, Hugo suscita de nombreuses œuvres, pensées, tels des suaires. C’est le cas du médaillon exécuté par David d’Angers qui, le représentant en un profil numismatique, n’est pas sans faire écho aux portraits d’orateurs antiques. Son portrait par Léon Bonnat (1879) saisit l’écrivain dans sa maturité et pour la postérité puisque l’image collective
de Hugo semble désormais coïncider avec celle du peintre : un vieillard barbu au regard sévère, la tête appuyée sur la main gauche. Nul hasard à ce que l’œuvre soit conservée à Versailles, non loin de celles des rois et reines… Aussi saisissantes, les photographies de Carjat et Nadar semblent dialoguer, comme transcrites dans un autre médium, avec la toile de Bonnat.
La mort de Hugo, survenue en 1885, donne lieu à une débauche d’images figurant ce demi-dieu avant son ascension programmée. À l’instar de Nadar qui fixe l’écrivain sur son lit de mort tel un ex-voto destiné à perpétuer à jamais ce passage dans l’au-delà, le sculpteur Dalou dirige le moulage du masque mortuaire qui garde jusqu’à l’empreinte mortifère des poils de la barbe de ce vieux sage.
Les reliques exécutées, la procession des funérailles peut commencer. Une toile de Béraud vient rappeler la ferveur d’une journée (de) culte où près de trois millions de témoins médusés suivent le cortège. Les louanges, elles, ont déjà été chantées : en 1851, un dénommé Verdi a monté Rigoletto d’après Le roi s’amuse, sept ans après avoir créé Hernani… La pieuse dévotion a pour baromètre sa résistance au temps. Les adaptations cinématographiques se multiplient comme des pains, la plus célèbre, dirigée par Jean Delannoy, voyant Anthony Quinn donner la réplique à Gina Lollobrigida dans une éternelle Notre-Dame de Paris.
Rodin devant Hugo, le génie et son double
Quand le sculpteur contemporain Didier Vermeiren réfléchit sur la fonction du socle, c’est au Monument à Victor Hugo (1991) de Rodin qu’il emprunte. Un monument dont on passa commande au maître de Meudon pour le Panthéon après qu’il eut réalisé en 1883 le portrait de son alter ego. Histoires de génie pour une œuvre géniale qui figure l’écrivain assis sur son rocher de Guernesey, flanqué de deux muses désarticulées et la main gauche apaisant le tumulte des flots.
Elle fut refusée en 1909 en raison de son audace formelle et de son formidable sens épique, à l’image des dessins enfiévrés que Hugo réalisa lors de son exil. Se pénétrant de la sève de ce dernier, Rodin parvenait à en restituer l’essence dramatique et enivrante. Il n’hésita pas à se faire photographier par Steichen devant le Penseur et le Monument à Victor Hugo, en une image poétique où sa silhouette vient se superposer à celle de l’écrivain. Jeu de miroirs indistinct, ce cliché souffla à une amie : « C’est vous entre Dieu et le diable. »
Libre à qui le souhaite et le peut de comprendre qui est l’un, qui est l’autre. Hugo, dans « sa grandeur terrible », ne put jamais contempler le monument, dont la première fonte fut placée en 1964 à l’angle de l’avenue où il habitait et qui, ultime prérogative d’un dieu vivant, portait déjà, quatre ans avant sa mort, son nom…
Informations pratiques « Juliette Drouet, mon âme à ton cœur s’est donnée… » jusqu’au 4 mars 2007. Maison de Victor Hugo, Hôtel de Rohan-Guéménée, 6, place des Vosges, Paris IVe. Métro : Chemin-Vert, Saint-Paul, Bastille. Tarifs : 7 et 5,50 €. Tél. 01 42 72 10 16
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L’édification de la légende
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°588 du 1 février 2007, avec le titre suivant : L’édification de la légende