Espagne - Art contemporain

Expressionnisme abstrait

L’école de New York s’installe à Bilbao

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 15 février 2017 - 699 mots

Faisant montre de pédagogie, l’exposition du Guggenheim Museum, de tenue classique, offre une vision ample de ce mouvement majeur dans l’art américain.

BILBAO - La liste est impressionnante. Outre les vedettes – Pollock, Rothko, Newman et De Kooning – on trouve au Guggenheim Museum de Bilbao Arshile Gorky, Adolph Gottlieb, Clyfford Still, Robert Motherwell, Lee Krasner, autrement dit tous les artistes que l’histoire de l’art a dénommés « expressionnistes abstraits ». Dans le récit de la peinture américaine, c’est en 1946 que le critique Robert Coates utilise pour la première fois ce terme un peu vague qui associe l’intensité expressionniste à l’abstraction radicale de ces créateurs. Les appellations qui ont suivi – stylistique : action painting, ou géographique : « école de New York » – montrent la difficulté à qualifier un courant exprimant la vitalité de l’art aux États-Unis. Le Triomphe de l’art américain. L’expressionnisme abstrait, titre du livre d’Irving Sandler (1970), est l’emblème de cette révolution.

C’est ainsi qu’entre 1943 et 1946 on assiste à la première consécration de Gorky, Willem De Kooning, Pollock ou Rothko qui tous ont droit à des expositions personnelles dans les galeries de Peggy Guggenheim (The Art of this Century) et de Betty Parsons. Le Guggenheim Museum montre les débuts de la transformation chez ces peintres. Car les œuvres abstraites des années 1950 ont fait oublier l’importance qu’avait prise la production figurative avant et pendant la guerre. L’aspect sombre de l’autoportrait de Pollock (1933) ou du couple chez Clyfford Still n’a rien d’étonnant dans le contexte américain de la Dépression.

Après ce prologue, le parcours propose une série de présentations monographiques. Les travaux, fréquemment de grand format, ne se préoccupent que de frontalité de l’espace pictural et d’absence de hiérarchisation entre les différentes parties de la toile (le all over). Toutefois, on perçoit également la variété extraordinaire des approches qui vont de la gestualité de Pollock et d’Yves Klein, aux champs de couleur de Rothko ou encore à l’austérité de Barnett Newman.

Un Still exceptionnel
La première salle présente Arshile Gorky, le passeur entre les surréalistes qui trouvent refuge aux États-Unis pendant la guerre (Matta, Masson, Breton) et la génération des abstraits. Proches du biomorphisme, ses formes, inconnues et suggestives, évoquent des êtres hybrides en fragmentation. Chez lui comme chez ses confrères se lit l’impact du primitivisme et de l’art archaïque.

Suit un ensemble de De Kooning un peu décevant. Il y manque quelques œuvres d’envergure comme la formidable série des « Women » (1950-1952) où le corps déformé des femmes fait le lien avec l’expressionnisme historique. En revanche, le choix des toiles de Clyfford Still est exceptionnel. Dans une salle voûtée comme une cathédrale, sont exposées des toiles gigantesques où la confrontation violente de grandes surfaces aux formes irrégulières et déchiquetées de couleur foncée – très souvent le noir – prend des accents dramatiques. Avec Still comme avec Newman, le spectateur est face à des œuvres qui tendent à exprimer le sentiment du sublime, ce dépassement de soi qui s’inscrit dans la tradition du paysage romantique. Une sculpture de Newman, Here I (1950), totem vertical en bronze semblable à un alter ego abstrait des figures de Giacometti, donne toute la mesure de la fragilité de l’être humain mais aussi de sa capacité de résistance.

Puis arrivent les poids lourds, Rothko et Pollock. Dans la pièce ronde où sont accrochées les toiles du premier, la couleur, appliquée généralement en glacis transparents, fait surgir des configurations rectangulaires, superposées symétriquement sur un fond quasi monochrome. Les formes, aux contours flous et apparemment mouvants, sont comme des nappes chromatiques d’une luminosité irradiante. La dissolution de la structure à ses extrémités crée un effet de méditation : la couleur se perd dans l’espace. Paysages sans limites, plaines étendues à l’infini.

Chez Pollock, c’est l’énergie qui jaillit de partout. Les compositions sont réalisées à partir de « nœuds » irréguliers, inachevés, entrelacés, qui se chevauchent et forment des espaces brouillés, aboutissant à un « tissu des incertitudes » où les connexions, les liaisons, se perdent et reparaissent sans cesse. Rothko et Pollock, les deux modèles de l’expressionnisme abstrait, n’ont rien d’autre en commun que de réaliser des images qui s’adressent directement, sans médiation aucune, à la sensibilité du regardeur.

EXPRESSIONNISME ABSTRAIT

Commissaires : David Anfam, Clyfford-Still Museum à Denver ; Edith Devaney, Royal Academy of Arts, Londres Nombre d’œuvres : 130

EXPRESSIONNISME ABSTRAIT

Jusqu’au 4 juin, Guggenheim Bilbao, Avenida Abandoibarra 2, Bilbao, Espagne, tél. 34 944 35 90 80, tlj sauf lundi 10h-20h www.guggenheim-bilbao.es, entrée 16 €. Catalogue, éd. Royal Academy of Arts, Londres, en anglais, 320 p, 45 €.

Légende Photo :
Jackson Pollock, Mural, 1943, huile et caséine sur toile, 243,2 x 603,2 cm, The University of Iowa Museum of Art. © The Pollock-Krasner Foundation.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°473 du 17 février 2017, avec le titre suivant : L’école de New York s’installe à Bilbao

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