L’Hôtel de Caumont a réuni près de 120 œuvres de cet artiste qui n’a eu de cesse d’expérimenter.
Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). On ne sait si Max Ernst (1891-1976) a jamais eu l’occasion de visiter Aix-en-Provence, car son séjour dans la région n’avait rien de touristique. Citoyen allemand, il a été interné à deux reprises – en 1939 et en 1940 – au camp des Milles, situé à quelques kilomètres de l’Hôtel de Caumont où a lieu la mini-rétrospective organisée par Martina Mazzotta et Jürgen Pech. Parmi les prêts du Centre Pompidou-Musée national d’art moderne, de la Peggy Guggenheim Collection à Venise et du Max-Ernst Museum de Brühl (Allemagne), figurent au moins deux chefs-d’œuvre, séparés d’une quarantaine d’années.
L’un d’eux, Œdipus Rex (1922, [voir ill.]), réalisé à Cologne et acheté par Paul Éluard, est une version surréaliste du mythe d’Œdipe. Au premier plan, d’immenses doigts surgissent de la fenêtre et tiennent une noix fendue, annonçant l’œil sectionné du Chien andalou (1929) de Luis Buñuel. Les deux étranges têtes zoomorphes qui se penchent en avant ajoutent une note inquiétante à cette œuvre mystérieuse. À l’opposé, toute trace d’angoisse disparaît dans la seconde toile, Le Jardin de la France (1962). Ici, l’image dépeint la calme limpidité des rivages fluviaux, la douceur du pays de Touraine où Ernst séjourna. Le corps nu féminin, inspiré par la Naissance de Vénus d’Alexandre Cabanel, se confond avec l’Indre et la Loire. Le serpent qui s’enroule autour de la jambe de la femme est une allusion explicite à Ève. L’œuvre d’Ernst puise dans la religion, la mythologie, la poésie romantique, la psychanalyse et la littérature, cachant autant qu’elle montre. Bien qu’expressionniste puis dadaïste, cette production artistique demeure avant tout surréaliste.
Certes, on pourrait dire que Max Ernst ne fait que recourir comme les autres surréalistes à la métamorphose. Il n’est pas le seul à inventer des êtres hybrides évoluant sur une carte chaotique, défiant l’anatomie et refusant une réalité en manque d’imagination. Cependant, tandis que chez Magritte ou Paul Delvaux les transformations de l’image restent dans le domaine pictural, et d’une facture relativement classique, Ernst n’arrête pas d’expérimenter de nouveaux procédés techniques qui bouleversent la texture de l’image et introduisent le tactile dans le visuel (collages, frottages, grattages, décalcomanies).
Le parcours permet de se familiariser avec ces différentes techniques, dont la plus connue reste le frottage. Un jour, frappé par l’aspect hallucinatoire d’un plancher en bois aux rainures apparentes, l’artiste y pose des feuilles de papier qu’il frotte avec de la mine de plomb. À travers les paysages sous-jacents qui émergent, Ernst parvient à libérer les structures secrètes des matériaux, des plantes et des feuillages (Soleil derrière les arbres, 1964). Chronologique, l’exposition aborde quelques thèmes, dont un ensemble important de forêts pétrifiées où parfois s’imprime sur un arbre la silhouette d’un oiseau, symbole de la liberté fréquent dans l’œuvre – voir sa magnifique Forêt et colombe, 1927. Même si l’on aurait souhaité en voir plus, l’Hôtel de Caumont présente un Ernst comme figure dominante d’un surréalisme qu’il dépasse en même temps.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°613 du 9 juin 2023, avec le titre suivant : Le surréalisme matiériste de Max Ernst