La Cité des sciences et de l’industrie explore les variations du silence dans une exposition immersive où la perception sert de guide.

Paris. Aucun texte de salle ne ponctue le parcours de l’exposition « Silence » ni aucun cartel : il n’y a en effet pas d’œuvres exposées ni de documents à lire. C’est un choix du Musée de la communication de Bern qui a conçu l’exposition, comme l’explique le commissaire de la Cité des sciences, Mark Read. Les visiteurs doivent donc porter un audioguide pour parcourir l’exposition, et se laisser guider également par leurs yeux : Mark Read précise que le graphisme des sols et des murs indique les endroits pour lesquels un contenu de médiation est prévu dans l’audioguide. L’essentiel du parcours tient en une grande salle au décor minimaliste, encadrée de deux salles d’introduction et deux salles de conclusion. Selon le commissaire « le parcours complet prend une petite heure si l’on écoute tous les contenus ». À noter que la technologie utilisée se base sur des capteurs de position disséminés dans les salles, et que le dispositif se déclenche donc à des endroits fixes du parcours. Si le son spatialisé est de bonne qualité et l’ambiance générale assez calme, le casque n’empêche pas d’entendre par à-coups les voix des autres visiteurs, y compris ceux à l’extérieur de l’exposition : il aurait sans doute fallu isoler plus hermétiquement les espaces, car dans le couloir adjacent à l’exposition se situent des salles de médiation pour les scolaires.

Bien que l’exposition se tienne dans un musée des sciences, le propos n’est pas scientifique : les visiteurs n’apprendront pas grand-chose sur les caractéristiques physiques du son et du silence, à part quelques informations sur les décibels et les sons dans l’espace. Mark Read suggère de se laisser guider par les lumières et les formes géométriques au sol ou sur les murs, des rayures noires au mur, des carrés sur le sol, des courbes colorées à l’esthétique années 1970 qui invitent à picorer les contenus. L’exposition ne se parcourt donc pas avec la partie analytique du cerveau contrairement à une exposition documentaire. Les situations mises en scène dans les salles et dans les contenus de l’audioguide alternent les archétypes (paysage enneigé qui étouffe les bruits) et récits personnels (témoignage d’un médecin militaire à Verdun en 1917 sur les traumatismes liés aux bombardements). Chaque visiteur réagit à ces récits selon son expérience personnelle, mais le texte tente de rester accessible pour un public adulte et jeune : les adolescents semblent d’ailleurs assez attentifs du fait de devoir écouter plusieurs récits et anecdotes sans support visuel. Mark Read note que « les visiteurs parcourent l’exposition seuls en général, et ils intériorisent plus leurs déplacements que dans les autres expositions à la Cité des sciences et de l’industrie ». Il faut en effet fournir un effort de concentration, voire d’adaptation, face à une exposition qui se parcourt surtout avec les oreilles et sans parler. D’autant que les récits et anecdotes contiennent des références littéraires ou philosophiques qui incitent à la réflexion (Sénèque, Goethe, Kierkegaard). Enfin certaines thématiques abordées sont assez graves, notamment l’utilisation du silence comme moyen de torture (torture blanche), illustrée par un récit angoissant et une photographie de mur gris.

Certains récits peuvent sembler anecdotiques, comme celui d’une autrice qui a fait une retraite spirituelle silencieuse, mais ils illustrent des aspects sociologiques du silence dans les sociétés modernes : Mark Read insiste d’ailleurs sur « la dimension psychologique et sociologique » de l’exposition. Car ce récit en apparence futile est contrebalancé par un autre qui moque les touristes occidentaux en recherche de calme dans des destinations exotiques. L’humour est en effet présent dans plusieurs récits, un humour nécessaire pour alléger l’ambiance sonore ponctuellement assez lourde (bruits de bombes, grincements, bruits de fond métalliques). L’exposition alterne donc les points de vue, et se clôt par une pirouette puisque l’une des dernières salles diffuse l’œuvre de John Cage, 4’33. Dans le casque, les visiteurs entendent un commentaire de la voix féminine puis des applaudissements et les instruments d’un orchestre qui s’accordent, tout en regardant une grande photographie d’un orchestre classique. Ensuite, quatre minutes trente-trois secondes de silence, ponctuées de quelques toussotements et de commentaires élogieux murmurés par la voix. Si cette œuvre synthétise plusieurs aspects du silence en contexte social, l’absence de cartel nuit à sa compréhension par un public non spécialiste : les adolescents présents le jour de notre visite ont ri et n’ont pas fait l’effort physique de rester les quatre minutes. En sortant, les visiteurs traversent une salle quasiment vide qui incite à la méditation grâce au texte de l’audioguide, mais peu s’y attardent après l’expérience John Cage. Cette exposition originale pose la question de l’impossibilité du silence absolu, puisqu’il reste toujours le son du souffle humain comme le fait remarquer le dernier récit de l’audioguide.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°650 du 28 février 2025, avec le titre suivant : Le silence règne à la Cité des sciences