C’est peut-être le plus vaste vernissage jamais organisé : la nouvelle série de Martin Parr, Common sense, est présentée simultanément dans une quarantaine de lieux à travers le monde, jusqu’au mois de mai. Chaque exposition sera différente des autres, toutes n’auront pas la même durée mais toutes seront ouvertes le 1er avril. L’inauguration de ce marathon – qui va traverser New York, Chicago, San Francisco, Montréal, Ottawa, Singapour, Moscou, Tokyo, Zurich, Lusaka... – a eu lieu le 4 mars à la galerie Rocket de Londres. À Paris, la galerie du jour Agnès b. montrera la série du 31 mars au 17 avril.
LONDRES. Common sense rassemble des images prises dans le monde entier, qui mettent en valeur des détails de la vie contemporaine, vêtements, fast food, animaux... Réalisées avec un appareil 35 mm, souvent au flash, dans des plans très rapprochés, elles ont l’intensité des couleurs et l’esthétique chères au photographe de Magnum, qui a déjà livré une vision impitoyable des stéréotypes britanniques et du tourisme. À côté des tirages classiques, proposés entre 950 et 2 800 livres sterling (de 9 300 à 27 400 francs environ), des copies laser couleur, illimitées, seront exposées et vendues 25 livres. Le British Council et la société Xerox soutiennent Common sense, qui fait aussi l’objet d’un ouvrage édité par Dewi Lewis. Dans cet entretien, Martin Parr explique ses motivations, sa volonté d’explorer “un nouveau langage”.
Dans quelle mesure votre série Common sense témoigne-t-elle d’une approche totalement nouvelle de votre part ?
En 1995, après avoir terminé Small world, mon dernier projet en moyen format, j’ai opté pour un appareil 35mm avec un flash annulaire et un objectif macro, et je me suis mis à explorer ce qui était à ma portée. J’ai commencé par une série sur la nourriture anglaise, puis j’ai mené différents projets, voyageant aux quatre coins du monde. Mais c’est réellement la première fois que je peux rassembler les fruits de cette exploration dans un seul volume.
J’essaie de m’adresser au monde avec un nouveau langage. Ces images sont différentes car j’ai changé de format, d’approche, de point de vue. Pour la première fois, j’ai réuni toutes ces idées dans un livre et dans un projet global. Ce n’est pas tant le format, mais le fait que les plans soient très rapprochés, très serrés, isolant les détails de la vie, alors que dans mes images précédentes, je voulais montrer l’ensemble de la scène. La grande différence est que j’utilise une série de détails afin de créer une vue d’ensemble.
Toutes les images sont des fragments. Et même si l’on comprend bien votre démarche, celle-ci peut apparaître comme superficielle.
La photographie saisit des surfaces, et d’une certaine manière, vous avez raison, le risque existe. Mais l’accumulation de toutes ces images fait que d’autres choses s’animent, apparaissent ; ce n’est pas à moi de les identifier. Je suis intimement convaincu que la photographie est intrinsèquement ambiguë. Je n’ai pas l’intention de gaver les gens d’un message, je veux leur donner de nombreuses options. Alors, je m’attache à certains sujets comme le racisme, je m’attache à des clichés, à des images qui peuvent paraître très familières mais qui nous sont aussi très étrangères. Et si l’on réunit ces images, on obtient une idée du monde.
Votre échantillon mondial découle-t-il d’un concept de départ précis, ou les idées sont-elles venues au fur et à mesure, au jour le jour ?
J’ai commencé par un ou deux projets, puis j’ai compris que depuis des années, je construisais des images qui avaient un dénominateur commun. J’ai pu me concentrer sur ce dénominateur, l’élargir pour essayer de créer une nouvelle logique de voir et de penser. Et le concept s’est développé.
Le projet a pour titre Common sense, pour des raisons de sens commun justement ?
Oui. Les images ont été faites au Japon, en Europe, aux États-Unis, sur les cinq continents. J’aime savoir qu’elles viennent de partout et seront vues partout. Je sens également une force de cohésion qui bourgeonne. Lorsque je regarde ces images ensemble, je perçois un mélange de bien et de mal, le yin et le yang, comme dans la plupart de mes projets, du beau et du laid.
Bien que ces photographies ne s’organisent pas vraiment autour d’un thème, illustrent-elles ce qu’on pourrait considérer comme votre signature visuelle, une attention portée au kitsch de la vie, à ses rebuts ?
Oui. Mais ce style et cette technique sont relativement nouveaux pour moi. À part mon livre West bay , qui traite d’un lieu unique, et mon British food catalogue, c’est la première fois que j’ai recours à ce genre de travail pour prendre position. J’ai vraiment l’impression qu’il se passe quelque chose et je me suis servi de ce projet pour l’exprimer.
Travaillez-vous en couleur pour faciliter l’insertion de vos images dans les circuits de l’art contemporain ?
C’est de la photographie couleur. Ma motivation première est de faire partie du courant dominant ; appartenir au monde de l’art est un “plus”. Je m’intéresse au point de rencontre, au croisement de l’art et du commerce. J’aime produire des images qui trouvent leur place aussi bien dans une galerie que dans un magazine.
Que pensez-vous de la polémique, au sein de Magnum mais aussi à l’extérieur, concernant l’utilisation de vos images à des fins publicitaires ?
La plupart de mes choix sont souvent sujets à controverse, y compris la recontextualisation de ces images dans la publicité. J’étudie toutes les propositions que l’on m’adresse et je décide si elles sont acceptables. J’ai peut-être appris à contrôler ma sensibilité au fil des année. Je n’ai pas honte de la polémique, mais je ne la recherche pas non plus. J’utilise la publicité en toute conscience et je pense que c’est un support très intéressant. C’est pourquoi il m’arrive de faire de la photographie publicitaire. Je suis pour le croisement des genres et des supports photographiques.
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Le sens commun
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°79 du 19 mars 1999, avec le titre suivant : Le sens commun