Loin du pathos germanique du Moyen Âge tardif, les sculptures de Tilman Riemenschneider expriment une sensibilité inhabituelle et une élégance mélancolique. Un artiste à redécouvrir dans la remarquable rétrospective du Metropolitan, qui souligne les rapports entre son œuvre et la culture graphique des XVe et XVIe siècles, celle de Dürer et de Schongauer.
NEW YORK (de notre correspondante) - Voici presque soixante-dix ans qu’aucune rétrospective n’avait été consacrée au sculpteur allemand Tilman Riemenschneider (1460-1531). De son vivant, sa réputation n’avait d’égale que celle de Dürer, avant de sombrer dans l’oubli pendant des siècles. Aujourd’hui, il est bien souvent omis du nombre des grands artistes des XVe et XVIe siècles. Il a pourtant dirigé pendant quarante-cinq ans un atelier qui a compté jusqu’à quarante apprentis, et sa production féconde est la preuve que fleurissait en Europe centrale un réalisme sans aucun lien avec l’Humanisme et la Renaissance italienne.
Encore ancré dans le langage du gothique tardif allemand, le style de Riemenschneider se caractérise par un naturalisme qui n’est plus au service de significations symboliques. Les sujets sont essentiellement religieux, mais ils expriment une sensibilité inhabituelle et une élégance légèrement mélancolique, loin de la dramatisation de ses contemporains. L’exposition oppose le calme et l’équilibre serein de Riemenschneider aux inquiétudes expressives et à l’exubérance théâtrale de Veit Stoss et de son groupe l’Archange Raphaël et le jeune Tobie (Germanisches Nationalmuseum, Nuremberg).
Le Metropolitan rassemble une cinquantaine d’œuvres provenant d’une trentaine de collections publiques et privées de différents pays, un tel rassemblement permettant ainsi de réunir des ensembles démembrés. Le commissaire de l’exposition, Julien Chapuis, directeur des Cloisters et des collections médiévales, s’est aussi attaché au contexte culturel dans lequel s’est formé le sculpteur, en présentant des œuvres de ses prédécesseurs. Citons par exemple Niclaus Gerhaert de Leyde, avec une Vierge debout à l’Enfant de la collection du musée, dont Riemenschneider tire sa conception cinétique de la sculpture, invitant l’observateur à tourner autour de l’œuvre, ou Michel Erhart, dont les visages d’une introspection presque élégiaque, illustrés par une Madone assise à l’Enfant (Staatliche Museen, Berlin), l’ont influencé de façon déterminante.
Par ailleurs, l’un des principaux mérites de l’exposition est de mettre en évidence les rapports entre l’œuvre de Riemenschneider et la culture graphique des XVe et XVIe siècles, en particulier celle de Dürer et de Martin Schongauer. Elle établit un parallèle précis entre des gravures de Schongauer conservées au Metropolitan et deux reliefs en bois de tilleul, le Repas chez Simon et Noli me tangere provenant du maître-autel de l’église de Münnerstadt.
Courageuse prise de position
Né vers 1460 à Heiligenstadt, en Thuringe, Riemenschneider suit une formation de sculpteur en albâtre à Erfurt. À Ulm, il perfectionne sa technique de la sculpture sur bois mais travaille aussi la pierre. Son atelier de Würzburg a réalisé plusieurs monuments pour la cathédrale de la ville, ainsi que la tombe de l’empereur Henri II et de sa femme Cunégonde pour la cathédrale de Bamberg et les statues d’Adam et Ève du Mainfränkisches Museum. Ses chefs-d’œuvre restent néanmoins les autels en bois, grès et albâtre, tel celui de la Madeleine dans l’église de Münnerstadt, aujourd’hui démonté, et surtout les sculptures de petite taille destinées à la dévotion privée. Ces dernières présentent une caractéristique unique dans la sculpture sur bois de l’époque, généralement polychrome : elles sont conçues de façon à mettre en valeur les jeux de lumière sur la matière, généralement du bois de tilleul que Riemenschneider laissait brut, sauf au début de sa carrière où il le peignait.
L’abandon de la polychromie n’est pas la seule touche de modernité de Riemenschneider. Il a en effet travaillé pour des églises, des confréries et des princes, mais il n’entre pas dans le moule de l’artiste de cour. D’abord, il dirige un atelier autonome travaillant aussi pour une clientèle bourgeoise, et surtout, il se bat pour la reconnaissance de la position sociale de l’artiste. Sur le plan politique, sa vie fait preuve d’un engagement civique exemplaire : membre du conseil municipal de Würzburg, en 1525, il s’oppose au prince-évêque qui voulait cantonner l’armée dans la ville pour réprimer la révolte paysanne. Cette courageuse prise de position lui vaut la confiscation de ses biens, la prison et la torture, ainsi que la perte de toutes ses commandes publiques.
- Tilman Riemenschneider : maître sculpteur du Moyen Âge, jusqu’au 14 mai, Metropolitan Museum of Art, 1000 Fifth Avenue, New York, tél. 1 212 879 5500, www.metmuseum.org, tlj sauf lundi 9h30-17h15, vendredi et samedi 9h30-21h.
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Le sculpteur-citoyen
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°102 du 31 mars 2000, avec le titre suivant : Le sculpteur-citoyen