Théâtralisée par la scénographie inventive d’Hubert Le Gall, la production de l’orfèvre russe Carl Fabergé raconte en filigrane, au Musée des beaux-arts de Montréal, l’histoire des Romanov.
Comment rendre moderne l’œuvre du grand orfèvre russe Carl Fabergé (1846-1920), telle a été l’obsession de Nathalie Bondil lorsqu’elle a décidé d’accueillir au Musée des beaux-arts de Montréal cette exposition montée en partenariat avec le Virginia Museum of Fine Arts de Richmond (Virginie, États-Unis). Trop longtemps résumée à la production de ses œufs miniatures – sortes de « joujoux précieux » de l’aristocratie russe et européenne –, l’œuvre de ce créateur de génie apparaît ici sous un jour nouveau grâce à la scénographie inventive et malicieuse du designer français Hubert Le Gall.
Croisant la petite histoire de cette fabrique familiale avec la grande histoire de la Russie des tsars, l’exposition invite surtout à poser un regard émerveillé sur l’univers flamboyant de celui que Sylvain Cordier, l’un des commissaires de l’exposition, nomme « le dernier orfèvre de cour ». « Il fallait avant tout rafraîchir les objets, les faire dialoguer entre eux », résume ainsi Hubert Le Gall, qui a réussi à éviter le piège de la reconstitution historique, tout en distillant un parfum de « Sainte Russie » tout au long du parcours.
Dès la première salle, une iconostase souligne ainsi la dimension religieuse de ces œufs d’une préciosité inouïe que les tsars offraient à Pâques à leurs proches comme autant de symboles du renouveau. Plus loin, des tables aux contours géométriques évoquent les glaçons flottant sur les eaux gelées de la Neva, le cordon ombilical de Saint-Pétersbourg, la capitale impériale. Pour suggérer l’ambiance des ateliers et de la boutique de la Maison Fabergé, le designer est allé jusqu’à recopier, d’après une photo d’archives, le dessin des lampes et des tables. Plus dramatique, la dernière salle suggère les dernières heures des Romanov, alors que grondent déjà les premières émeutes de la révolution…
Pièces convoitées
Assumant sa théâtralité, l’exposition n’en soulève pas moins de passionnantes interrogations sur le « style » et le « goût » Fabergé. Conseiller scientifique de l’exposition, le docteur Géza von Habsburg souligne ainsi l’extraordinaire aura dont jouit encore l’orfèvre russe près d’un siècle après sa mort. Sans doute le destin dramatique de la famille russe impériale avec lequel se confond la chute de la Maison Fabergé n’est-il pas étranger à ce succès. « Fabergé était le joaillier le plus important en Russie au début du XXe siècle. On estime à plus de 200 000 les créations sorties de ses ateliers. Or la révolution bolchevique de 1917 a anéanti la quasi-totalité de cette production. Tous les bijoux, ou presque, ont disparu. Le même sort a été réservé aux pièces d’argenterie, fondues pour être transformées en lingots ou en roubles. C’est dire le caractère exceptionnel des pièces qui ont survécu à ce naufrage, dont les fameux œufs impériaux qui ont cristallisé toutes les convoitises », résume l’éminent spécialiste. Bien avant les oligarques russes pétris de nationalisme, les femmes de la haute société américaine se piquaient ainsi de collectionner des pièces de Fabergé dans les années 1930, telle Lilian Thomas Pratt dont l’exposition de Montréal dévoile précisément l’ample collection. Cette épouse de l’un des dirigeants de la General Motors vouait en effet une véritable passion à tout ce qui entourait la famille des Romanov, n’hésitant pas à sacrifier ses économies pour acquérir des pièces aussi prestigieuses que l’Œuf dit « de Pierre le Grand », qu’elle paya en 33 mensualités !
Aux côtés d’une myriade de pommeaux de canne, de poignées d’ombrelles et œufs miniatures, Lilian Thomas Pratt collectionna à foison des cadres de photographies censés contenir des portraits de la famille impériale. Hélas, comme bon nombre de collectionneurs, la riche Américaine fut sans doute bernée par l’un de ces marchands peu scrupuleux qui n’hésitaient pas à nimber d’attestations fantaisistes le moindre bibelot russe ! Ainsi, rien n’était trop beau pour nourrir le rêve et entretenir la confusion, comme le montre, dans l’exposition, cette série de faux baptisés, non sans humour, « fauxbergé », par Géza von Habsburg. Selon le spécialiste, des dizaines de copies fallacieuses circulent encore à l’échelle internationale, tels ces petits vases à fleurs ou ce bestiaire de fantaisie taillés plus ou moins grossièrement dans du cristal de roche et des pierres dures. On se consolera toutefois par ce petit miracle qui s’est produit quelques jours à peine avant l’inauguration de l’exposition. Grâce à la perspicacité d’un marchand londonien, l’un des plus beaux œufs impériaux vient de resurgir dans la modeste cuisine d’un brocanteur américain ! De quoi ranimer la fièvre des collectionneurs : il ne reste plus désormais que six œufs impériaux à dénicher dans le monde.
Commissariat général : Nathalie Bondil, directrice du Musée des beaux-arts de Montréal
Conseil scientifique : Géza von Habsburg
Commissaires : Diane Charbonneau et Sylvain Cordier, conservateurs au Musée des beaux-arts de Montréal
Scénographie : Hubert Le Gall
Jusqu’au 5 octobre, Musée des beaux-arts de Montréal, 1380 rue Sherbrooke Ouest, tél. 514 285 2000, www.mbam.qc.ca. Catalogue, Fabergé Revealed at the Virginia Museum of Fine Arts, sous la direction de Géza von Habsburg, 422 p., coéd. Virginia Museum of Fine Arts/Skira Rizzoli Publications, 75 $ (env. 55 €).
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Le « revival » Fabergé
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Abonnez-vous dès 1 €Carl Fabergé, Atelier Fabergé, Mikhaïl Perkhin (maître d’atelier), Œuf de Pâques impérial dit Pierre le Grand, 1903, œuf : or, platine, vermeil, diamants, rubis, émaux, aquarelle, ivoire, cristal de roche, surprise : bronze doré, saphir, 12 x 7,9 cm, Virginia Museum of Fine Arts, Richmond. © Photo : Katherine Wetzel/Virginia Museum of Fine Arts.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°417 du 4 juillet 2014, avec le titre suivant : Le « revival » Fabergé