PARIS
Le Musée Picasso expose les débuts de Jackson Pollock, alors qu’il opère la synthèse entre les arts natifs américains et les avant-gardes européennes.
Paris. Réunir une quarantaine de toiles de Jackson Pollock (1912-1956), dont certaines rarement exposées, ainsi qu’environ quatre-vingts dessins, constitue un exploit. L’exposition du Musée national Picasso se concentre sur une période allant de 1934 à 1947, soient les années où l’artiste « digère » ses nombreuses influences. En toute logique, le parcours débute par une mise en regard des œuvres du peintre espagnol avec celles‹ de son homologue américain.
De toute évidence, la présence de la toile Guernica dans une galerie new-yorkaise en 1937, la grande rétrospective de Picasso au MoMA en 1939, ainsi que les reproductions publiées dans les revues parisiennes, a profondément marqué Pollock. À l’entrée, le rapprochement judicieux entre Head (1938-1941) de Pollock et Combat entre taureau et cheval (1933-1934) de Picasso illustre leur commune quête autour de la déformation expressive. Chez Pollock, on observe déjà l’introduction de formes non figuratives et un remplissage uniforme de la surface, abolissant la hiérarchie traditionnelle entre centre et périphérie.
À l’instar de Picasso, Pollock crée son propre bestiaire mythologique (She Wolf, 1943). Il s’agit, comme le déclarent Mark Rothko et Adolph Gottlieb, de « symboles éternels […] des peurs et des motivations fondamentales de l’homme » (« A Letter from M. R. and A. G. to the editor », The New York Times, 1943). L’influence de la théorie jungienne est indéniable dans son œuvre, un intérêt partagé par de nombreux artistes new-yorkais de l’époque. Les dessins remarquables que Pollock apportait à ses séances psychanalytiques en témoignent.
L’exposition, très complète, remonte aux débuts de la carrière de l’artiste. En 1930, Pollock suit les cours de Thomas Hart Benton, chef de file de l’école régionaliste américaine, dont il retient une organisation contrapuntique de la surface picturale (Composition with Oval Forms, 1934-1938). Grâce à Benton, il découvre les muralistes mexicains. En 1936, il intègre l’atelier de David Alfaro Siqueiros, où il se forme aux techniques innovantes de la peinture murale. Cependant, c’est la rencontre avec les surréalistes, arrivés à New York pendant la guerre, qui provoque une véritable révolution dans son style. André Masson, Yves Tanguy, Max Ernst et surtout Joan Miró, par leur pratique de l’automatisme, fournissent à Pollock les moyens d’explorer des images où les formes se fragmentent et subissent des transformations biomorphiques. Même si, curieusement, les impressionnantes toiles de 1946 conservent encore des titres « figuratifs » (La Clé [voir ill.], La Tasse de thé), les formes éclatées abolissent toute distinction entre figure et fond.
La dernière salle du musée présente les œuvres emblématiques de Pollock : les « drippings ». Ces jets de peinture sur une toile posée au sol, inspirés des traditions locales américaines – en particulier la peinture sur sable des Indiens – forment un réseau complexe de lignes et de nœuds qui s’entrecroisent et se chevauchent. L’énergie qui émane de ses peintures suggère des forces expansives qui débordent la surface de l’œuvre pour se projeter dans l’espace (Painting, 1948). Une nouvelle peinture est née, de même que le mythe de Jackson Pollock.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°645 du 13 décembre 2024, avec le titre suivant : Le premier Pollock