La Kunsthalle de Mannheim célèbre le centenaire de l’exposition qui réunissait en 1925 des artistes animés par le souci de représenter la réalité de l’après-guerre sans fard.
Mannheim (Allemagne). L’appréhension de la Nouvelle Objectivité est très subjective. Mais si l’on ne sait pas vraiment ce que c’est, on sait d’où elle vient. Ni un concept ni un mouvement, c’est une exposition présentée à la Kunsthalle de Mannheim en 1925. Gustav F. Hartlaub, son second directeur, en était le commissaire. Dans ses interviews, il s’est toujours refusé à approfondir le sens du titre, préférant expliquer que l’exposition rassemblait des artistes qui dépassaient l’expressionnisme. Si elle n’a attiré que 4 100 visiteurs, elle a connu un grand retentissement dans la presse de l’époque, avec des voix pour et d’autres contre, et au fil du temps la Nouvelle Objectivité en est venue à évoquer les artistes qui ont précédé le nazisme.
Cent ans plus tard, la Kunsthalle de Mannheim propose une exposition qui revient sur cette période charnière dans l’art du XXe siècle. Si on y retrouve bien quelques-unes des œuvres présentées en 1925, le visiteur peut y voir aussi, et c’est ce qui fait son intérêt, de nombreuses œuvres d’artistes qui en étaient absents, restituant un panorama contrasté de cette époque troublée. Deux toiles placées côte à côte en début du parcours reflètent toute l’ambiguïté du terme avec des artistes adoptant des expressions picturales diamétralement opposées. Dans Les Funérailles du poète Oskar Panizza (1917-1918), George Grosz peint Berlin plongée dans un hallucinant chaos de violence et de pauvreté, alors que dans son Paysage près de Berghausen (1924-1925) Georg Scholz représente une nature paisible et idyllique dans un style proche de celui d’Henri Rousseau.
Otto Dix est aujourd’hui le peintre le plus souvent associé à la Nouvelle Objectivité. Au-delà de ses images provocantes du vice et de la pauvreté, l’exposition permet de suivre l’évolution de son travail après les années 1930 vers une peinture plus inspirée par les maîtres anciens, à l’instar de sonSaint Christopher (1941). Certains peintres associés à la Nouvelle Objectivité se sont progressivement identifiés aux valeurs traditionnelles du national-socialisme, à l’image d’Adolf Wissel avec Une famille de paysans de Kahlenberg (1939).
L’exposition de 1925 ne comprenait aucune femme artiste, bien qu’à l’époque elles étaient déjà nombreuses, mais maintenues dans l’ombre. On en croise tout au long du parcours, telles qu’Ingrid Griebel-Zietlow avec sa foule d’ouvriers en marche ; Alix Lex-Nerlinger et son touchant prisonnier politique ; Gussy Hippold-Ahnert, élève de Dix à Dresde ; ou encore Kate Diehn-Bitt (l’autoportrait en peintre).
Dans sa première liste élaborée en 1923, Gustav Hartlaub avait inclus Picasso, ce qu’il n’a pu concrétiser deux ans plus tard. Le peintre catalan est présent aujourd’hui avec La Liseuse (1922) ainsi que d’autres artistes étrangers comme Félix Vallotton, Alan Beeton, François Barraud ou Cagnaccio di San Pietro, soulignant par là qu’aux yeux du commissaire de l’époque, cette nouvelle manière de peindre et d’appréhender la réalité était partagée par des artistes au-delà des frontières allemandes. Une salle située dans le bâtiment originel du musée construit en 1907 propose de se plonger dans la reconstitution numérique partielle de l’accrochage de 1925 dont beaucoup d’œuvres ont été détruites ou ont disparu.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°645 du 13 décembre 2024, avec le titre suivant : La Nouvelle Objectivité revue et augmentée