À bien regarder Phèdre (1880) de Cabanel que voit-on ? On voit d’abord, lisible et évidente, une histoire connue de tous, celle d’une femme rongée par son désir coupable.
Mais ne voit-on pas, ensuite, bien plus : une songerie symbolique, presque symboliste, digne de Moreau ? Une peau blanche, presque lactescente, digne de Foujita ? Ne voit-on pas, sous ces ors et ces marbres, sous cette composition virtuose et comme glacée, poindre de curieuses stridences, celles de l’originalité, peut-être même celles de la modernité ?
Modernes essences
Bien sûr, la peinture académique ne saurait passer pour ce qu’elle n’est pas, à savoir une peinture hantée par l’innovation et l’inconnu. Néanmoins, comment pourrait-on mésestimer sa part de responsabilité – fût-elle inconsciente – s’agissant de l’émergence de la « modernité » ? Car comment les « modernes » eussent-ils pu négliger ce qui constituait alors la part la plus saillante de la création contemporaine ? À cet égard, les nus marmoréens de Cabanel ne sont pas exempts d’une étrangeté digne des peintres de l’âme (La Naissance de Vénus, 1863) tandis que les formidables sculptures de Gérôme (Tanagra, 1890) alimentent remarquablement le débat autour de la polychromie et que les grandes machines académiques usent d’artifices – zooms, cadrages et raccourcis narratifs – dont le cinéma s’inspirera largement (ainsi le Ben Hur de William Wyler en 1959). De même, l’érotisme kitsch des « pompiers », la ligne millimétrée de Cabanel (Portrait de Mrs Pinchot, 1872) et la froideur mathématique de Gérôme (Le Travail du marbre, 1890) tendent vers un hyperréalisme trouble que réinvestiront les artistes des années 1960 ou, plus récemment, un Jeff Koons.
Précis mais précieux, l’art académique put être idéaliste, voire puriste, s’il n’avait été invariablement rattrapé par ses propres manies artificielles et ses baroqueries excentriques. Redondant et oxymorique, il n’en demeure pas moins animé, pour reprendre la formule de Baudelaire à propos de Gérôme, par une évidente « recherche du nouveau ».
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Le pompiérisme, une avant-avant-garde ?
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°628 du 1 octobre 2010, avec le titre suivant : Le pompiérisme, une avant-avant-garde ?