Le Musée d’art et d’histoire du judaïsme accueille la première rétrospective du photographe qui, au-delà de la démonstation documentaire, ouvre à une vision élargie inédite de sa création.
Ce n’est pas la première exposition que le Musée d’art et d’histoire du judaïsme consacre à Roman Vishniac (1897-1990). Dans le cadre du Mois de la photo 2006, « Un monde disparu » s’était concentré sur les communautés juives d’Europe orientale. Il les avait photographiées de 1935 à 1938 à la demande de l’organisation caritative juive américaine Joint Distribution Committee, afin de lever des fonds d’aide pour ces populations ashkénazes séculaires appauvries par les boycotts antisémites et les restrictions migratoires successives. Reprise du titre éponyme du livre publié en France aux éditions du Seuil en 1984, l’exposition montée par l’International Center Of Photography (ICP), dépositaire des Archives Roman Vishniac, revenait sur ce témoignage bouleversant qui avait fait sa renommée. Huit ans plus tard, le musée accueille la première rétrospective consacrée à ce photographe de renom, né dans une famille juive moscovite aisée, émigré en Berlin en 1920 et naturalisé américain en 1946. Conçu par Maya Benton, conservatrice de l’Archive Roman Vishniac à l’ICP, ce vaste panorama inédit de l’œuvre résulte de six années de recherche dans un fonds de plus de 45 000 objets, comprenant archives familiales, ainsi que travaux antérieurs et postérieurs à « Un monde disparu ». Présenté l’an dernier à l’ICP à New York, puis au Joods Historisch Museum à Amsterdam sous le titre « Roman Vishniac Rediscovered », son propos élargit le regard au-delà de ses images des communautés juives d’Europe orientales avant la Shoah. En 220 œuvres comprenant des séries et des fragments de films inédits, voire retrouvés, mais aussi photographies familiales ou des documents révélés pour la première fois, cette rétrospective donne aussi corps à l’œuvre et à la vie de cet homme. Une carrière de biologiste et zoologiste bouleversée par la révolution russe, puis par le nazisme, l’amenèrent à faire de son intérêt pour la photographie un métier ; celui-là même qu’exerça son grand-père, Wolf Vishniac, photographe à la cour du Tzar.
Témoignages d’une époque disparue
De ses images de rue à Berlin dans les années 1920 à sa passion pour la photomicroscopie scientifique – dont Roman Vishniac fut un des pionniers dans les années 1950 –, ses différentes productions se déroulent dans une chronologie parfaitement séquencée, prégnante et nourrie de cartels informatifs particulièrement bien conçus. La diversité de ses approches comme la nature profondément humaniste de ses images se confondent. Elles collent au contexte de chaque époque traversée, histoire documentée et au talent du photographe. La situation et le sort réservé aux Juifs d’Europe de l’Est avant et après la Shoah dominent sa production photographique ; y compris américaine, bien que cette dernière soit riche également en portraits d’artistes, d’intellectuels et scientifiques émigrés, tels Albert Einstein ou Marc Chagall, ou en photographies sur Chinatown pendant la guerre sino-américaine. Dans la carrière de Roman Vishniac, les commandes du Joint Distribution Committee ou d’autres organisations juives caritatives ont préfiguré nombre de séries à Berlin, en Europe Orientale, aux Pays-Bas, en France durant l’exode, aux États-Unis ou encore lors de son retour en Allemagne durant l’été 1947 pour documenter leurs actions dans les camps de personnes déplacées. Les enfants et les jeunes, comme les ouvriers ou les artisans sont des figures récurrentes dans sa production photographique. Dans ses clichés pointent autant la résistance contre l’arbitraire que l’extrême vulnérabilité des situations. En témoignent ces différentes séries, y compris celle sur Werkdorp Nieuwesluis, dévoilée pour la première fois et relative au camp d’entraînement de jeunes sionistes à la vie agricole, montrée dans les années 1930 aux Pays-Bas et dont Vishniac galvanise les scènes à la manière d’un Rodchenko. Cette émotion contenue se retrouve dans les clichés personnels du photographe. Que ce soit le portrait de sa fille Mara devant une affiche électorale de Hindenburg et d’Hitler, celui de ses parents réfugiés clandestins à Nice en 1939 ou les clichés de son retour à Berlin en 1947 dans le quartier de Wilmersdorf, où il vécut jusqu’à l’exode de la famille (série là encore jamais publiée ni exposée), la vision de Roman Wishniac exprime le chaos avec une justesse redoutable.
Commissariat de l’exposition à Paris : Paul Salmona directeur du Musée d’art et d’histoire du judaïsme avec la collaboration de Nicolas Feuillies et Dorota Sniezek du Musée d’art et d’histoire du judaïsme.
Scénographie : Loretta Gaïtis
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Le monde selon Roman Vishniac
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°422 du 31 octobre 2014, avec le titre suivant : Le monde selon Roman Vishniac