Pour les auteurs de l’exposition, Yve-Alain Bois et Rosalind Krauss, il s’agit ni plus ni moins de proposer une nouvelle grille de lecture de l’art de ce siècle, en renouvelant les catégories bien établies du modernisme. À l’ombre de Georges Bataille, une échappée dans les dédales de l’histoire.
PARIS - L’histoire de l’histoire de l’art s’enrichit d’un nouveau chapitre avec cette exposition, qui entend rompre avec l’alternative trop simpliste de la forme et du contenu. "Il s’agit pour nous, écrit Yve-Alain Bois, de redistribuer les cartes du modernisme – non de l’enterrer ou de perpétuer le deuil maniaque auquel s’est voué un certain type de ‘post-modernisme’, mais de faire en sorte que l’unité du modernisme telle qu’elle a été constituée par l’opposition du formalisme et de l’iconologie soit criblée de part en part." Pour y parvenir, les commissaires invités privilégient une troisième voie : celle de l’informe. Georges Bataille, qui en fit l’une des pierres de touche de sa philosophie, en est évidemment le grand inspirateur. Mais la difficulté de l’entreprise tient pour partie à la fidélité revendiquée des auteurs à Bataille, qui s’exprime surtout par le fait qu’il n’est pas question pour eux de "définir l’informe, de le substantiver", mais au contraire, de conserver au terme sa valeur de "déclassement" et de se livrer, à partir de là à toute une série d’opérations.
Extirper les œuvres
Si ces dernières sont identifiées sous forme de questions (l’horizontalité, le "bas matérialisme", le battement, l’entropie), le spectateur-lecteur devra s’y retrouver de lui-même dans une taxinomie qui est délibérément conçue comme volatile, meilleur stratagème, sans doute, pour prendre le modernisme à rebours et tenter de défaire les idées reçues. Le catalogue, qui inaugure une nouvelle série de publications, comprend une introduction d’Yve-Alain Bois (professeur à Harvard), une conclusion de Rosalind Krauss (professeur à Columbia), et un dictionnaire qui, lui aussi, prend modèle sur celui que proposa Bataille dans la revue Documents. Ce riche déploiement théorique permet aux auteurs de faire un choix (essentiellement dans les collections du musée) dont l’hétérogénéité pourra surprendre.
Qu’y a-t-il de commun entre Robert Smithson, Raoul Ubac, Piero Manzoni, Jean Arp, Man Ray, Bruce Nauman, Cindy Sherman, Jacques André Boiffard, Lucio Fontana ? Entre Jackson Pollock, Mike Kelley, Arman et Hans Bellmer ? Certaine forme de kitsch, l’usage de la photographie, l’horizontalité ? L’exposition se distingue par ce qui pourrait bien apparaître comme un simple parti pris puisque n’y sont pas retenues les œuvres représentatives des artistes, mais au contraire celles qui peuvent être chez eux considérées comme atypiques. Pour les besoins de la démonstration, elles seront extirpées de la réserve idéologique où elles sont habituellement tenues.
L’INFORME : MODE D’EMPLOI, Centre Georges Pompidou, Galerie Sud, du 22 mai au 26 août. Ouvert tous les jours sauf le mardi 12h-22h ; samedi, dimanche et jours fériés, 10h-22h. Catalogue de Yve-Alain Bois et Rosalind Krauss.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Le modernisme dans l’œil de l’informe
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°25 du 1 mai 1996, avec le titre suivant : Le modernisme dans l’œil de l’informe