Réalisé juste après Les Indes galantes,énorme succès de Clément Cogitore (né en 1983), The Evil Eye, récompensé du prix Marcel Duchamp 2018, est le point de départ de l’exposition.
Cette vidéo de 15 min est exclusivement composée de plans achetés sur Internet auprès de banques d’images – plans froids et stéréotypés, destinés à la publicité, autrement dit à la manipulation, et la « fabrication du consentement », selon les termes de Jean-Charles Vergne, commissaire de l’exposition. Cette succession d’images est accompagnée d’une voix off féminine narrant un récit apocalyptique. À la manière d’un oracle, douce et enveloppante, elle accompagne, le visiteur dans les salles à la découverte d’œuvres d’une vingtaine d’autres artistes, toutes générations confondues – de Christian Boltanski à Agnès Geoffray. Il est question de chaos, d’hubris et d’effondrement dans cette exposition ; les références mythiques, archaïques et religieuses sont omniprésentes, réinvesties par les artistes pour parler du monde actuel, de ses dérives et des aliénations qui en découlent. Aussi surprenant que cela puisse paraître, le projet date d’avant la pandémie. Les échos avec la situation actuelle sont troublants, et « Le mauvais œil » fonctionne ainsi comme une « prédiction », aussi belle que tragique. Oscillant entre esthétiques lynchéennes (Gregory Crewdson), imageries primitives (Caroline Achaintre) et représentations frontales du réel (Seamus Murphy), le parcours de l’exposition est intelligent, progressif et efficace. On ressort troublé, à la fois dépité et envoûté, avec encore la voix prophétique qui résonne en nous – « et tout le monde danse et chante pour conjurer le sort… »
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°739 du 1 décembre 2020, avec le titre suivant : "Le mauvais œil est parmi nous"
