Le Musée des arts d’Afrique et d’Océanie ouvre sa porte à l’Occident pour explorer les rapports entre les vivants et les morts. Autour de soixante-dix « reliques » européennes et océaniennes, l’exposition « La mort n’en saura rien » révèle les convergences entre les deux civilisations et repose la question de l’attitude du musée face au sacré.
PARIS - Empruntant son titre à un vers d’Apollinaire, “La mort n’en saura rien” médite sur les crânes. À l’entrée de l’exposition, cinq têtes de morts – péruvienne, brésilienne, indonésienne, nigérienne et mérovingienne – soulignent le rôle d’intercesseur universel joué par celles-ci. Toutefois, à travers soixante-dix pièces du Moyen Âge, le propos se concentre sur l’Europe et l’Océanie : culte des reliques, vénération des ancêtres ou chasse à la tête, les exemples ne manquent pas dans les deux aires culturelles, interrogées par leur voisinage dans un musée œcuménique, divisé en neuf chapelles fantomatiques. “Le parcours ne commence pas comme un face à face, les cultures sont trop différentes. Au début, les regards se croisent”, explique Yves Le Fur, conservateur au musée et commissaire de l’exposition. La scénographie, en transparence et reflets dorés de Massimo Quendolo, joue parfaitement ce jeu du glissement progressif. Les yeux perdus vers un hypothétique point de fuite commun, trois crânes bavarois et un ensemble de crânes océaniens sont disposés perpendiculairement. Plus loin, un grand masque awan de Papouasie-Nouvelle-Guinée s’oppose à l’impressionnant reliquaire de sainte Coelestina, de la fin du XVIIIe siècle. Par leur décoration, les ossements expriment le désir de conserver la mémoire des défunts ou de s’approprier symboliquement les ennemis tués. Porté par le parcours déambulatoire, le visiteur découvre les points de convergence entre les deux cultures. Colorés, gravés ou incrustés de coquillages et pierres, les ossements deviennent une présence sans cesse réactualisée du défunt, et la notion occidentale de relique s’élargit au continent océanien. “Celui qui touche les os d’un martyr participe à la sainteté et à la grâce qui y réside”, écrivait saint Basile.
Une centaine d’âmes hantent le musée
La relique perpétue la présence et l’action des saints dans le monde des vivants. Les saints sont morts, mais la mort n’en sait effectivement rien. Les Sepik de Papouasie-Nouvelle-Guinée honorent pareillement leurs ancêtres dans la maison du clan. Plus que par les ossements, la relation avec le monde des morts se fait par leur mode de présentation, et des comparaisons directes peuvent s’établir entre Océanie et Europe. Un ostensoir-reliquaire suisse du XVIIIe siècle fait face à un agiba papou présentant un crâne d’ennemi. Bois gravé ou broderies et perles, les supports transforment les os en trophées. À l’inverse, soigneusement emballé dans un tissu précieux, le chef de la bienheureuse Bertha n’est pas plus visible que le crâne contenu dans un korwar indonésien. Pourtant, l’importance de sa présence est révélée par la dissimulation. En s’appuyant sur le concept occidental de la relique, l’exposition propose une typologie de ces présentations, des “visages reliquaires” à l’accumulation des “trésors reliquaires”. Ainsi, un Jardin de paradis, agencement foisonnant de reliques de la fin du XVIe siècle, trouve écho dans un alignement de têtes d’ancêtres Sepik.
Certes, la présentation de crânes n’est plus de mise en Nouvelle-Guinée, et, depuis Vatican II, le culte des reliques est en déshérence, mais ces pièces semblent réinvesties d’une charge symbolique par cette exposition, véritable cimetière d’une centaine d’âmes. Le musée fonctionne pourtant habituellement comme une formidable machine à laïciser et rationaliser : un numéro d’inventaire porté sur un crâne des îles Salomon en est le plus criant exemple. “Quelle place faire au sacré dans le musée ?”, s’interroge Yves Le Fur. La question rebondit sur le sort réservé aux objets de culte dans le futur Musée des arts et civilisations. Dans le dernier espace trône un crâne de l’île de Pâques, orné d’un oiseau, symbole d’un aller-retour constant entre deux mondes. En attendant de disparaître et de rejoindre l’autre rive pour le quai Branly, le MAAO prouve ici sa capacité à aborder l’autre, qu’il soit non-occidental ou mort.
Jusqu’au 24 janvier, Musée national des arts d’Afrique et d’Océanie, 239 avenue Daumesnil, 75012 Paris, tél. 01 43 46 51 6. Catalogue, édition RMN, 264 p., 290 F. ISBN 2-7118-39-27-3.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Le MAAO trompe la mort
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°92 du 5 novembre 1999, avec le titre suivant : Le MAAO trompe la mort