L’édition 2016 du Mois du graphisme à Échirolles est axée sur la création nipponne, toujours aussi inventive depuis les années 1950. La Ville en profite pour inaugurer son «Â Centre du graphisme ».
ECHIROLLES - Sur les fameuses « sucettes » Decaux et dans les vitrines des magasins, on ne voit qu’elle : cette tête stylisée ou, plus exactement, ce demi-visage animal d’un rouge éclatant sur fond blanc, celui d’un singe rare et emblématique nippon, esquissant un timide sourire. L’affiche du Mois du graphisme 2016 d’Échirolles (Isère) a été dessinée par un maître japonais du genre, Kazumasa Nagai, 87 ans. Subtile et énergique, elle fait d’une pierre deux coups : annoncer l’édition actuelle, qui a lieu jusqu’au 29 janvier, et son invité vedette, le pays du Soleil-Levant.
Sous la houlette du graphiste Michel Bouvet, commissaire général, la manifestation se compose de huit expositions déployées à Échirolles et alentour, à Grenoble, Seyssins et Varces. Les trois présentations majeures ont lieu dans la commune échirolloise, où ce Mois du graphisme a été créé en 1990.
Au Musée Géo-Charles, des affiches engagées
L’occasion est belle de voir non pas quelques affiches, mais, une fois n’est pas coutume, plusieurs séries d’importance – n’ayons pas peur de le dire : des trésors ! – réunissant la crème des graphistes nippons. À commencer par U.G. Sato, 75 ans, lequel a tenu à faire le voyage en France pour le vernissage, preuve de la renommée du « Mois ». Son travail, puissant, s’affiche, c’est le mot, dans l’exposition « Japon : les grands maîtres de l’affiche », présentée au Musée Géo-Charles, qui rassemble les œuvres de douze créateurs des années 1950 à aujourd’hui. Y figure ce fameux poster contre la reprise des essais nucléaires français dans le Pacifique, annoncée en 1995 par un président Chirac alors fraîchement élu. On y voit une femme inspirée par une vahiné de Gauguin, dont le visage est une tête de squelette. L’image, en noir et blanc, est cernée d’un slogan en français : « Non aux essais nucléaires ». Plus loin, même ambiance morbide et forte avec cette affiche anti-guerre datant de 1968 et signée Shigeo Fukuda : de loin, une myriade de petits traits noirs verticaux sur fond rouge dessinent un crâne. En s’approchant, on remarque que chaque trait figure une bombe en train de tomber. Nulle légende, tout est dit.
Plusieurs organismes nippons, telles la Japan Association of Art Museums ou la DNP Foundation for Cultural Promotion, ont, pour l’occasion, effectué des dons. D’où la présence de chefs-d’œuvre, comme cette affiche de Mitsuo Katsui représentant un visage bariolé et évanescent conçue pour le 200e anniversaire de la vie artistique de Sharaku, maître de l’estampe et célèbre portraitiste d’acteurs de kabuki. Énigmatique et splendide.
Invention typographique
La production actuelle est à découvrir, sous l’intitulé « I Love Japan, Graphisme & Modernité » dans le nouveau « Centre du graphisme » (lire ci-dessous). On mesure la capacité des graphistes japonais à s’inscrire dans toutes les sphères de la société : des enseignes de magasin à l’identité visuelle d’une entreprise, des emballages aux menus des restaurants, de la signalétique à l’affiche culturelle ou politique… Ainsi des travaux de Kashiwa Sato, directeur artistique du logo de la marque Uniqlo, ou de Yoshiaki Irobe, auteur de l’ensemble des supports de communication du Lakeside Museum, à Ichihara (Japon).
Aux Moulins de Villancourt, « Magazines in Tokyo » présente journaux et revues, populaires et néanmoins sophistiqués, avant-gardistes ou alternatifs. Une section arbore 50 couvertures dont 10 originales de la mythique revue Idea qui dessinent, en creux, une histoire du graphisme contemporain mondial, depuis l’Américain Paul Rand (1955) jusqu’aux Français M/M (2001). Même le moindre magazine d’entreprise est « léché » à l’extrême, tel Nikukyu, trimestriel de mode de la marque Sally Scott, supervisé par Atsuki Kikuchi, directeur artistique qui s’occupe aussi de l’épurée Do-Jin, revue du temple kyotoïte Ginkaku-ji [« Pavillon d’argent »]. Partout se manifeste une incroyable invention typographique.
Histoire de boucler la boucle, il faut grimper jusqu’au Musée dauphinois, à Grenoble, planté sur les hauteurs de la colline du Rabot. Hormis une vue sublime sur le panorama montagnard, le visiteur pourra admirer la beauté selon Kazumasa Nagai, à qui une monographie est consacrée. Une tortue, un poisson, un lièvre, un hibou, un singe encore, l’homme esquisse les animaux comme nul autre pareil. S’y expriment toute sa facétie et sa sensibilité. On perçoit aisément l’étroite relation qu’entretiennent les Japonais avec la nature et les éléments. L’impression des affiches est, elle aussi, impeccable. Son trait est une ode à la vie. D’où le titre de l’exposition : « Life ».
Commissaire général des expositions : Michel Bouvet, graphiste
Commissaire associée : Blanche Alméras
Scénographie : Camille Fraisse/Atelier Michel Bouvet
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Le Japon en invité vedette
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 29 janvier 2017, tél. 04 76 23 64 65 et programme complet sur www.echirolles-centredugraphisme.com
- « Japon, les grands maîtres de l’affiche », Musée Géo-Charles, 1, rue Géo-Charles, 38130 Échirolles
- « Magazines in Tokyo » et « Light & Shadows. 30 livres de photographie japonaise 1965-2016 », Moulins de Villancourt, 85, cours Saint-André, 38800 Le Pont-de-Claix
- « Kazumasa Nagai », Musée dauphinois, 30, rue Maurice-Gignoux, 38031 Grenoble
- « Affiches sociales made in Japan », centre socioculturel Émile-Romanet, Espace Charles-de-Gaulle, Varces
- « 20/20. Les étudiants fêtent le graphisme », La Rampe, Échirolles
- « Yuko Araki », centre culturel Montrigaud, salle Aimé-Césaire, Seyssins (jusqu’au 28 janvier)
- « Made in Japan… by students », bibliothèque Kateb-Yacine, Grenoble (jusqu’au 31 décembre)
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°469 du 9 décembre 2016, avec le titre suivant : Le Japon en invité vedette