En 1975, Giorgio Armani fonde sa marque, la « Giorgio Armani Spa », prêt-à-porter homme et femme. À l’époque, il s’agit d’un pari – partagé avec son compagnon d’aventure, Sergio Galeotti –, même s’il travaillait déjà dans la mode depuis dix-huit ans, d’abord comme acheteur pour les magasins « La Rinascente », avant de devenir styliste pour Hitman de Nino Cerruti, et de travailler en free-lance, à partir de 1970. Giorgio Armani nous parle de mode bien sûr, mais aussi d’art et de collection.
Giorgio Armani, qu’est-ce que la mode ? Un art ou un artisanat, la créativité à l’état pur ou une réponse aux exigences du marché ?
C’est tout d’abord un honneur d’avoir son travail présenté pour une exposition dans une institution comme le Guggenheim. Pendant toute ma carrière, j’ai toujours tenté de rester fidèle à ma philosophie du confort, de l’élégance et de la modernité. Pour moi, la mode consiste à dessiner des habits originaux mais dans lesquels la personne qui les porte se sente à son aise. C’est l’un des axes de l’exposition du Guggenheim, et j’en suis heureux. L’idée m’émeut, aussi, d’une lecture autorisée de ce que j’ai dessiné, car elle implique de retenir, à partir d’un grand nombre de travaux et de projets, le plus représentatif. Ce sera comme découvrir un autre moi-même.
Avec vos vestes déstructurées, vous avez fait vivre une véritable révolution à l’histoire de la mode : d’où est née cette invention ?
La veste déstructurée est considérée comme le symbole de ma mode puisqu’elle a vraiment représenté une “révolution” qui, à partir de 1980, a transformé le destin de ce vêtement dans le monde entier. Elle est évidemment le fruit d’une réflexion, d’une pensée méditée, mais elle est aussi le reflet d’un sentiment, d’une sensation que je n’ai comprise que par la suite. Lorsque j’ai commencé à dessiner, tous les hommes étaient habillés de la même façon. Ils portaient tous une sorte d’uniforme, tantôt plus large, tantôt plus moulant, ce qui ne changeait pas grand-chose. Tous leurs habits étaient sans défaut. Moi, j’aime bien les défauts. Alors, j’ai cherché à personnaliser la veste en la rendant plus assortie à celui qui la porte. Comment obtenir ce résultat ? En retirant la structure et en la transformant en seconde peau. J’ai bâti un type de veste détendue, informelle, moins rigoureuse, qui laisse deviner le corps et sa sensualité. La veste a été la première chose sur laquelle j’ai voulu apposer ma signature.
Germano Celant soutient que les cultures orientale et nord-africaine ont exercé une forte influence sur votre travail : qu’est-ce qui vous fascine dans ces civilisations et dans leurs expressions artistiques ?
Dans les années quatre-vingt, je devais exprimer la sensation de richesse de cette décennie et j’ai instinctivement choisi de donner aux costumes un air oriental, celui des samouraïs japonais, celui de la Chine impériale, celui des bergers de Mongolie, ou des maharajahs indiens qui m’ont toujours fasciné par leur dignité, leur maintien, leur beauté et leur caractère. Ils me servaient à exprimer une idée de richesse qui ne soit pas hédoniste. Dans les années quatre-vingt-dix, l’écho de l’Orient islamique m’a servi à donner une impression de simplicité et de grande richesse intérieure. C’est une culture fascinante car l’homme sait aussi être doux et la femme avoir une conscience intérieure. L’essence de la forme est la caractéristique qui m’a le plus frappé dans cette civilisation et j’ai voulu la restituer dans mon travail.
Il transparaît, à travers votre mode, une solide culture esthétique et artistique : quel est votre rapport à l’art ?
Mon rapport à l’art est celui de quelqu’un qui aime le beau et qui a naturellement besoin des images, des formes, des couleurs et aussi des émotions particulières que suscite une œuvre d’art pour trouver l’inspiration pour son travail. Parfois, ces émotions se sont concrétisées dans des collections qui portaient les marques évidentes d’un engouement esthétique. C’est ce qui s’est produit pour Matisse, un artiste que j’aime énormément et que j’ai ouvertement cité dans certains de mes vêtements. Je suis intéressé par l’art contemporain. Je suis avec une attention particulière la photographie et les artistes qui l’utilisent, peut-être parce que, dans mon travail, l’image photographique est un passage obligé pour la diffusion des collections. C’est un langage capable de conférer une forme adéquate et compréhensible à ce que je veux exprimer avec mes vêtements.
Êtes-vous collectionneur d’art ?
Je suis un perfectionniste ! Je ne pourrais jamais accepter de ne pas être à la hauteur. C’est la raison pour laquelle je ne collectionne rien. Je n’ai pas vécu dans de vieilles demeures chargées d’histoire et d’œuvres d’art. J’avoue que je crains parfois de ne pas savoir choisir et, en même temps, je n’aime pas m’abandonner au goût des autres. En plus, je sais que si je commençais à collectionner les vases chinois, par exemple, ou de l’art américain, je souffrirais de savoir que quelqu’un possède des pièces plus importantes que les miennes. J’ai quelques petites choses précieuses auxquelles je suis très attaché : un dessin de Matisse, quelques verres de Murano, un petit Clemente, quelques photographies…
Quand on parle de votre mode, on cite souvent le Minimalisme : est-ce que ce courant artistique a de quelque façon influencé vos créations ?
Le Minimalisme fait partie de ma nature, de mon mode de vie. Dès le début de ma carrière, il a été le porte-drapeau de mon style dense et exempt de clinquant inutile : c’est ce que j’entends par “Minimalisme”. Et, à mon avis, cela a peu à voir avec un certain paupérisme que tant de stylistes du monde ont voulu opposer à l’accès de visibilité qui a envahi la mode des années quatre-vingt-dix.
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Le Guggenheim enfile les habits d’Armani (part II)
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°112 du 6 octobre 2000, avec le titre suivant : Le Guggenheim enfile les habits d’Armani (part II)