Pour le vingt-cinquième anniversaire de la création de sa maison, Giorgio Armani bénéficie d’un grand « show » au Guggenheim Museum de New York. Cette exposition est emblématique de la recherche par certains musées américains de sujets populaires, et, par là, de nouveaux sponsors pour financer leurs activités. Germano Celant, l’un des commissaires de l’exposition « Armani », s’exprime sur ce sujet et revient sur les relations entre les arts plastiques et la mode.
Vous avez été l’un des premiers à encourager un rapprochement entre les arts visuels et la mode. Existe-t-il des affinités entre les créateurs d’images et les créateurs de mode ?
La mode doit être étudiée comme un phénomène esthétique extrêmement influent pour notre panorama et notre comportement visuel. Les artistes sont concernés par l’impact social que la mode a sur le monde. Ils en étudient les évolutions, comme Jim Dine, un véritable connaisseur en la matière. Ils en font un sujet d’analyse, au point que nombre d’artistes de la dernière génération, d’Andreas Gursky à Charles Le Dray, et même la très jeune Uscha Pohl, s’accordent à en souligner la présence et se penchent sur son langage. En contrepartie, les nouveaux stylistes, comme Alexander McQueen, Margiela, van Beirendonck, Ann Demeulemeester, Watanabe et Knott suivent attentivement la photographie de Joel Peter Witkin ou de Jeff Koons, autant que l’art “apocalyptique” anglais, pour réaliser leurs défilés et leurs vêtements. C’est un processus inévitable, qui ne signifie pas l’osmose ou l’annihilation entre art et mode, mais le développement de territoires de recherche et de diffusion des langages. Avec Andy Warhol déjà, cette démocratisation était un parcours ouvert. À travers mes expositions, dès 1981 à Gênes, apparaît un premier hommage à son indifférence pour les hiérarchies linguistiques, repris il y a deux ans dans une exposition itinérante européenne, de Wolfsburg à Vienne, qui intègre la mode et la télévision, le théâtre et le cinéma, l’art et le commerce, la photographie et la publicité.
Comment avez-vous conçu le développement de l’exposition “Armani” ?
Avec Harold Koda, qui à partir de novembre sera le conservateur du Fashion Institute du Metropolitan Museum de New York, et qui partage avec moi le commissariat de l’exposition au Musée Guggenheim, nous avons essayé de construire une anthologie qui mêle l’histoire aux contributions linguistiques de Giorgio Armani dans le domaine de la perception de soi en tant que personne habillée. Nous sommes partis de la veste destructurée qui a apporté une manière informelle de se vêtir, qui était rigide et absolue, catégorique et impérative, pour passer à une lecture de l’influence comportementale sur le masculin et le féminin lesquels en sont arrivés à se croiser en échangeant leur rôle. Le thème de l’identité et de la libération sexuelles, en tant qu’attitude, s’est transféré aux vêtements de femme, créant une ouverture qui a changé la façon de se sentir féminine. En même temps, à partir du film American Gigolo, en 1980, où les vêtements d’Armani sont au premier plan avec Richard Gere, le masculin est entré dans une sphère de féminisation absolue. Sans parler du discours sur la “tribu” Armani, de ceux qui s’habillent et s’identifient avec sa coupe, ses formes et ses tissus, qui sont devenus synonymes d’identité. C’est justement avec le passage d’un dandysme féminin et masculin de luxe, typique de la haute couture, à un dandysme de masse, avec le prêt-à-porter, que la contribution d’Armani est importante pour comprendre comment ont changé les goûts du monde.
Comment est structurée l’exposition ?
Elle naît de la collaboration de Giorgio Armani, de Robert Wilson et des commissaires. Elle consiste en un décor de lumières et de matières qui obscurcissent et illuminent, couvrent et coupent l’espace entier du Musée Salomon R. Guggenheim. Wilson a conçu beaucoup de “scènes”, comme le souvenir du podium pour les habits du soir ou le territoire naturel pour les vêtements exotiques. Ailleurs, la contribution du design Armani à la formation des images publiques, comme celle des stars hollywoodiennes, s’accompagne de la projection de films, d’American Gigolo aux Incorruptibles, jusqu’au dernier Shaft. L’exposition se conclut par un grand final, où les époques et les saisons créatives d’Armani s’entrecroisent et se confondent avec son dernier défilé, pour démontrer la continuité et la contemporanéité de son travail passé et présent.
Ne craignez-vous pas que les expositions “extra-sectorielles” organisées par la fondation Guggenheim, depuis celle des motos jusqu’à Armani, soient perçues comme des moyens d’attirer un public de masse, pour garantir au musée des rentrées difficiles à obtenir avec l’art contemporain ?
Il faut avant tout analyser ce que signifie pour un musée de programmer des expositions de design, comme celle sur l’histoire de la moto, et de mode, comme celle sur Giorgio Armani, ou, demain, sur l’architecture, avec une exposition sur l’œuvre de Frank Gehry. La raison tient évidemment à briser le cercle fermé de l’art moderne et contemporain pour confronter l’institution à une créativité diffuse et généralisée, qui traverse non seulement la recherche visuelle, la peinture et la sculpture, mais aussi d’autres formes d’expression. Le Guggenheim Museum dirigé par Tom Krens, a, depuis plusieurs années, entrepris de rompre l’isolement de l’art contemporain qui est aujourd’hui très conservateur, parce qu’il ghettoïse le langage de l’art. C’est une hypothèse moderniste, qui est déjà présente dans le déroulement parallèle des départements de certains musées d’art moderne, mais la nouveauté du Guggenheim tient au fait de les présenter au même niveau, avec les mêmes moyens, en leur accordant la même importance. De fait, on tente d’amener un nouveau public dont on espère qu’il reviendra se confronter aux recherches moins perceptibles et moins compréhensibles pour son goût. En outre, il se passe pour le design, l’architecture et la mode, ce qui est arrivé pour la photographie qui, voilà quelques décennies, était encore considérée comme un art mineur, sinon commercial, et donc de très faible valeur esthétique.
Les détracteurs parlent d’expositions organisées pour attirer de riches sponsors...
Les recettes peuvent aussi venir du nombre d’étapes de l’exposition, qui arrivent ainsi à couvrir les coûts de production et de communication. C’est ce qui se passe avec “The Art of Motocycle” qui, après New York et Bilbao, ira à Las Vegas, ou pour “AndyWahrol : a factory”, qui a été présenté dans quatre musées, ou encore pour “1900”. En ce qui concerne “Giorgio Armani”, on étudie déjà une tournée de New York à Bilbao, de Paris à Tokyo, et, personnellement, je souhaite que cette exposition se termine à Milan.
- GIORGIO ARMANI, jusqu’au 17 janvier 2001, Musée Guggenheim, 1071 Fifth Avenue, New York, NY 1012, tél. 1 212 423 35 00. Tlj, sauf jeudi, 10h-18h, vendredi et samedi 10h-20h.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Le Guggenheim enfile les habits d’Armani (part I)
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°112 du 6 octobre 2000, avec le titre suivant : Le Guggenheim enfile les habits d’Armani (part I)