CHANTILLY
« Les primitifs de la photographie du XIXe siècle » montre les choix qui guidèrent Henri d’Orléans dans sa collection.
Chantilly (Oise). Des collections du duc Aumale (1822-1897), on connaît surtout les peintures, les dessins et les objets d’art du Musée Condé logé dans le château de Chantilly. Bien moins la collection de photographies. Il est vrai qu’elle n’a livré ses propres trésors qu’après sa découverte fortuite par Nicole Garnier en 1992. Peu de temps après sa nomination, la conservatrice générale chargée du musée avait en effet mis la main, à la faveur de l’inventaire des collections, sur des boîtes sous scellé dans lesquelles sommeillaient 1 400 clichés anciens. Depuis, ces tirages d’époque ou plaques de verre n’ont fait l’objet que de rares expositions en raison des conditions testamentaires du duc d’Aumale, dont le legs à l’Institut de France de son domaine de Chantilly stipule ni prêt de ses collections ni modification de leur présentation dans le château. L’exposition, dans le cabinet d’arts graphiques nouvellement aménagé, constitue donc un événement. L’objectif est cependant moins de dévoiler ses joyaux (on ne verra aucune des cinquante photographies de la guerre de Crimée de Roger Fenton) que d’éclairer sur les motifs et les choix qui guidèrent cette collection commencée dès les premières années d’exil du cinquième fils du roi Louis-Philippe en Angleterre, après la chute de la monarchie de Juillet (1830-1848).
Des vues de Paris d’Édouard Baldus ou des frères Bisson aux cinq marines de Gustave Le Gray, les œuvres se déploient dans un récit concis fort instructif. Le portrait du duc d’Aumale par le vicomte Joseph Vigie réalisé en septembre 1852 en Angleterre rappelle dès la première salle le rôle de ce photographe formé par Le Gray. « C’est certainement Joseph Vigie qui l’encouragea à faire une collection, fort de leur amitié entamée au collège Henri-IV », précise Nicole Garnier. Les photographies des transformations de Paris, des Tuileries et du Louvre où grandit le duc témoignent des grands travaux engagés par Napoléon III dans la capitale qu’Henri d’Orléans ne rejoindra qu’en 1871, quelques mois après la destitution de l’Empereur. Les vues anonymes sur papier salé ou albuminé montrent Rome ou Athènes comme lieux de séjours recherchés, ou Alger au temps où Henri d’Orléans fut gouverneur militaire de l’Algérie avant de gagner l’Angleterre. Les paysages alpins d’Adolphe Braun, très en vogue à l’époque, renvoient à d’autres lieux de villégiature prisés tandis que les reproductions de sculptures, d’objets ou de tableaux font écho au grand collectionneur qu’il fut. Les portraits disent les liens avec les têtes couronnées d’Europe, au premier rang desquels la reine Victoria.
Le duc d’Aumale révèle un intérêt pour la photographie autant documentaire qu’esthétique, en témoignent les marines de Le Gray. Aucun genre ne lui échappe, ni les grands noms français de son époque, et il recherche les tirages de grande qualité non signés ou les innovations techniques telle la trichromie. On ne retrouvera en revanche dans ce fonds aucun préraphaélite anglais, pourtant en vogue quand il s’établit en Angleterre. La lecture des cartels renseigne le visiteur sur les acquisitions menées par le musée quand une pièce comme le portrait du duc d’Aumal par Joseph Vigie vient à se présenter sur le marché.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°513 du 14 décembre 2018, avec le titre suivant : Le duc d’Aumale et les images de son temps