Cent un ans après un hommage qui avait déclenché les passions, Paris redécouvre l’œuvre insolite et parfois puissante d’Adolph Menzel. Plus de deux cents numéros, dont une part importante de travaux sur papier, rendent compte de l’importance d’un artiste sensible et inégal.
PARIS - Trop prussien pour être impressionniste, trop officiel pour être moderne, Adolphe Menzel a toujours manqué ses rendez-vous avec Paris, comme le souligne Henri Loyrette dans l’introduction du catalogue. Degas l’avait admiré, Duranty, dans un texte que republient les éditions Séguier, y voyait le chantre de la "névrose du vrai", mais la plupart des nationaux n’y percevaient qu’un écho assourdi de la nouvelle peinture française. Cette fois, pourtant, pourrait bien être la bonne, loin des passions contradictoires que son œuvre ambiguë et inégale avait fait naître en France. Né en 1915 à Breslau, Menzel reprend d’abord, à seize ans, l’atelier paternel de lithographie et publie des illustrations qui lui valent d’être remarqué par ses pairs. Il va poursuivre cette activité de longues années, avant de livrer des tableaux assez pénétrants qui lui permettront de devenir le "peintre des princes" et d’accumuler toutes les récompenses et les commandes attachées à ces privilèges.
Académique et déconcertant
L’exposition présente une partie de cette production académique qui célèbre les fastes de la cour à Sanssouci ou fait vibrer la corde patriotique avec virtuosité, mais sans forcer son talent. C’est peut-être cette réserve, trahissant un manque d’enthousiasme, qui a permis à Menzel de rester un véritable artiste et d’éviter de sombrer dans la célébration du régime. Pour la même raison, cependant, plane toujours une incertitude sur les fondements de son œuvre, qui cède parfois au conformisme et à l’expression redondante, à la manière d’un Boldini. Mais dans ses excès, Le souper au Bal, que copia Degas, exerce une curieuse fascination. Pour la plupart, ses scènes de genre manquent de conviction, se contentant d’un certain confort ouaté, et ses paysages, dont certains supportent facilement la comparaison avec les meilleurs Corot, manquent souvent d’ampleur. L’exposition de Paris est amputée d’un certain nombre de tableaux – que l’on verra à Berlin en février 1997 – qui auraient sans doute modifié cette impression.
En tout état de cause, Menzel est plus intéressant dans ses peintures et dessins les plus modestes en apparence, ou les plus insolites. Certains intérieurs d’immeubles ou d’églises, plongés dans une obscurité inquiétante et familière, ont une force de mystère étonnante. Quand il ne résout pas son sujet, quand un programme iconographique ne le contraint pas, les perspectives prennent des tours audacieux (Vue d’une fenêtre du château royal de Berlin, Usine en feux). Quand il se consacre à des détails (La main droite du peintre tenant un godet, Le pied de l’artiste), il approche un univers déconcertant qui serait moins névrotique que paranoïaque.
ADOLPH MENZEL, LA NÉVROSE DU VRAI, jusqu’au 28 juillet, Musée d’Orsay, tlj sauf lundi. Catalogue sous la direction de Claude Keisch et Marie Ursula Riemann-Rehyer, éditions de la RMN, 480 p., 390 F. Edmond Duranty, Adolphe Menzel, éditions Séguier, 60 p., 58 F.
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Le double fond de Menzel
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°26 du 1 juin 1996, avec le titre suivant : Le double fond de Menzel