Après Vermeer en 1995 et Jan Steen en 1996, la National Gallery of Art de Washington présente aujourd’hui trente-cinq œuvres de Gérard Dou, principal représentant de la Fijnschilder, la « peinture fine » caractéristique de l’école de Leyde. Cette manière minutieuse et raffinée, aujourd’hui admirée, valut pourtant au peintre un long purgatoire.
WASHINGTON (de notre correspondant) - Bien que Dou ait été l’un des premiers élèves de Rembrandt à Leyde, le titre accrocheur de l’exposition est trompeur. En effet, le disciple s’est vite dégagé de l’influence du maître pour peindre portraits et scènes de genre raffinés et minutieux, la plupart sur des panneaux de bois. Il existe en Hollande une longue tradition de la peinture de cabinet. Joachim Wtewael avait acquis une notoriété avec ses scènes précieuses, érotiques et mythologiques réalisées sur cuivre, tandis que Pieter Codde et Jacob Duck, maîtres de Haarlem et d’Utrecht, étaient connus pour leurs peintures minutieuses de salles de garde et d’intérieurs. Mais Dou a poussé la technique plus loin, rejetant à la fois le maniérisme de Wtewael et les visages vulgaires de Codde, pour dépeindre une classe moyenne propre et vertueuse, la bonne mère, la servante aux joues rouges, les vieillards ridés et ratatinés, les gamins aux yeux enjôleurs, dans des tableaux donnant une image idéale du citoyen hollandais. Pour monumentaliser ses personnages semblables à des poupées, Dou les représente souvent dans des niches ou dans des cadres de fenêtres arrondis, bordés de rameaux de vigne et de bas-reliefs.
Cette approche raffinée séduit un public enthousiaste. Partout en Europe, on recherche ses œuvres, achetées par des collectionneurs aussi distingués que l’archiduc Léopold Guillaume d’Autriche et la reine Christine de Suède, tandis qu’il refuse l’invitation de Charles II d’Angleterre à devenir peintre de la cour. Célibataire endurci qui s’aventure rarement en dehors de Leyde, Dou sait habilement vendre ses tableaux. En 1665, il organise une exposition personnelle de vingt-sept de ses œuvres chez Johan De Bye, un marchand et collectionneur de la ville. Il s’attire de nombreux imitateurs et élèves, dont Frans Van Mieris l’Ancien et Godfried Schalken. Ce dernier pousse à un grand niveau d’élégance et de raffinement le goût de son maître pour les finesses d’exécution et les intérieurs éclairés à la bougie. La renommée de Dou s’accroît encore après sa mort, et ses tableaux comptent parmi les plus chers du marché. Les collectionneurs français et hollandais sont les plus assidus (Le Louvre possède douze tableaux de lui et, en 1900, les musées de Munich et de Dresde en avaient respectivement seize et dix-huit), suivis de près par les anglais. Pour le collectionneur et esthète du XIXe siècle William Beckford, “Dou était le plus grand artiste de l’école flamande (sic !)”. Il propose même au roi George III La Boutique du marchand de volailles pour la somme exorbitante de 3 000 livres, ce que le souverain refuse.
Relégué en bas de page
À la fin du XIXe, son étoile pâlit au profit de son maître. Une nouvelle génération d’artistes attirés par l’Impressionnisme découvre dans la liberté de pinceau des dernières œuvres de Rembrandt l’image même du génie. En comparaison, Dou et sa “peinture fine” paraissent décadents et triviaux et sombrent dans l’oubli. Dans son essai Les Maîtres d’autrefois (1875) sur la peinture hollandaise au Louvre, Eugène Fromentin ignore Dou et ses disciples et s’intéresse à Metsu, Steen, Ter Borch et De Hooch, ajoutant que “Jan Van Der Meer est pratiquement inconnu en France”. En quelques années, Vermeer l’ignoré suscite une admiration bien supérieure à celle qu’on portait à ses confrères, et Dou n’est plus cité qu’en note en bas de page dans les livres d’histoire de l’art hollandais. Dans les années trente, l’Alte Pinacothek se débarrasse de douzaines de panneaux de la Fijnschilder de Dou et de ses disciples pour acheter des tableaux allemands. Parmi les œuvres rejetées se trouvent Le Charlatan et la femme à sa toilette, maintenant à Rotterdam, L’Ermite en prière, aujourd’hui à Washington, et un autoportrait, conservé à Kansas City, tous présentés à l’exposition. Au cours de ces quarante dernières années, Dou a progressivement retrouvé sa réputation parmi les spécialistes et les collectionneurs. Les passionnés d’iconographie se délectent des significations cachées dans ses panneaux à l’air apparemment innocent, et l’influence de l’artiste sur la peinture hollandaise de genre est aujourd’hui reconnue.
- Gérard Dou (1613-1675), Maître de l’époque de Rembrandt, jusqu’au 6 août, National Gallery of Art, Fourth Street at Constitution Avenue, Washington, tlj 10h-17h, dimanche 11h-18h, tél. 1 202 737 4215.
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Le Dou style nouveau
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°106 du 26 mai 2000, avec le titre suivant : Le Dou style nouveau