Aix-en-provence - Il fut un temps où l’on craignait que l’avènement du numérique ne signe la mort de l’écrit – sorte de « ceci tuera cela » comparable à la dissolution de l’architecture gothique, ce discours en images, dans la naissance du texte imprimé.
De SMS en chat, de forums en mots-clés, on sait désormais que cette disparition n’a pas eu lieu. Bien au contraire : non seulement le code, le « langage machine » selon l’expression consacrée, demeure la syntaxe de toute opération digitale, mais la fréquentation des univers numériques a bien plus transformé et diversifié nos usages de la langue écrite qu’elle ne les a dissipés. Qu’en est-il à l’aube d’une nouvelle (r)évolution – celle de l’intelligence artificielle – qui augure un monde où les machines se mettent à parler toutes seules ? C’est l’une des questions que posait, du 15 septembre au 22 octobre dernier, l’exposition « Langages machines » à la Fondation Vasarely (Aix-en-Provence), dans le cadre du festival Seconde Nature. Inauguré par un inventaire des formes écrites de communication digitale, l’accrochage y repérait d’abord, par un jeu subtil de déplacements et d’analogies, l’influence des machines sur les mots que nous échangeons. Comment le correcteur automatique d’un smartphone oriente-t-il l’écriture d’un texto, demandait Thierry Fournier dans Oracles (2017) ? La machine produit-elle une forme d’entropie du discours, questionnait Cécile Babiole dans Copies non conformes (2013-2015) ? À quels types d’échanges (phatiques, informatifs) le SMS nous voue-t-il ? interrogeaient Cléa Coudsi et Éric Herbin dans Où maintenant (2009). Mais l’exposition dévoilait aussi des formes encore embryonnaires de communication écrite, celles d’un discours où la machine ne tient plus lieu d’interface faussement neutre, mais d’émetteur, voire de « sujet » de la parole. Présenté en guise d’introduction, le Critique automatique d’Antoine Schmitt (1999) suggère que la question n’est pas tout à fait neuve. À partir d’une banque de données, cette œuvre générative produit sur chacune des œuvres de l’exposition un texte d’une dizaine de lignes censé reproduire l’inflation discursive accompagnant l’œuvre d’art. Mais ici, l’intention ironique et le caractère mécanique, stéréotypé de la prose, mettent à distance le spectateur. Rien de tel dans les œuvres exposées au premier étage de l’exposition, où sourd un propos bien plus inquiétant. Dans Nihil ex nihilo, de Félix Luque Sánchez (2010), on assiste ainsi au dialogue, à la fois sonore et visuel, entre une série de spams et une intelligence artificielle. Aux « enlarge your penis » de l’un répond la logorrhée vaguement métaphysique de l’autre. L’affichage alphanumérique en grand format, qui fait défiler hypnotiquement les propos échangés, renforce leur caractère d’absurdité, et propulse brutalement le spectateur dans un futur de science-fiction où les machines auraient conquis leur autonomie. Dans un tel contexte, l’installation TXT on Devices de Tilman Hornig prend des allures désespérées : ces textes gravés à la main sur diverses interfaces de communication numérique sont autant de bouteilles à la mer. Comme s’il devenait impérieux désormais de préserver ce qu’il y a d’organique, de sensible, donc d’humain, dans toute écriture…
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Le discours des machines
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°707 du 1 décembre 2017, avec le titre suivant : Le discours des machines