Dans Diary of a Leap Year (« journal d’une année bissextile »), Rabih Mroué, artiste, comédien et metteur en scène libanais, consigne trois cent soixante-six collages de figures humaines confrontées à la violence, réalisés à partir de la presse de son pays (un par page).
Éparses, solitaires ou en grappes, elles flottent dans l’espace de la page blanche. Leur suspension incarne leur situation, la poétique de la métaphore, l’incertitude du temps dans lequel ces victimes, témoins ou acteurs d’un événement tragique passé, en cours ou à venir, s’inscrivent. Au Bal, le très bel ouvrage édité par Kaph Book en 2017 développe quelques-unes de ces journées sur un pan de mur et résonne avec d’autres pièces choisies pour traduire cet état. « “En suspens” est une tentative poétique, abstraite et fragile de traduire quelque chose de notre temps », énoncent en explication ses commissaires Diane Dufour et Julie Héraut. Les pièces fortes à ce titre ne manquent pas. Mémorable est le dernier film de l’artiste irakien Hiwa K (View From Above), fiction sur un demandeur d’asile qu’on écoute décrire sa ville devant un plan fixe d’une maquette de cité détruite. Sans appel est la série du Hollandais Henk Wildschut sur la jungle de Calais photographiée depuis 2005. Quelque peu réfrigérante toutefois est l’exposition dans son ensemble, car bancale dans sa scénographie, parfois aussi dans ses choix d’œuvres et leurs dialogues, à l’instar des photos de Darek Fortas (Changing Rooms) sur les vestiaires des entreprises minières de Silésie, indissociables des luttes de Solidarność, qui apparaissent trop appuyées dans ce contexte.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°711 du 1 avril 2018, avec le titre suivant : Le difficile alliage du suspens