Dans le cadre de la Semaine du dessin, trois siècles d’œuvres d’artistes français sont à découvrir à l’Ecole des Beaux-Arts et à l’Institut néerlandais (une visite jumelée des expositions est organisée pendant la durée du Salon du dessin). A l’occasion de la publication dans les Archives de l’art français de la correspondance d’Ingres et de Marcotte, son premier mécène rencontré à Rome en 1810, l’Institut néerlandais présente un ensemble de lettres ainsi que des dessins d’Ingres et de certains de ses élèves. Deux modes d’expression employant les mêmes matériaux, deux types de traits venant rompre la virginité du papier, deux façons de fixer la pensée et de s’inscrire dans le temps, dont la confrontation ne peut manquer d’être enrichissante.
A travers les lettres, on suit l’histoire d’une « vieille et tendre et constante amitié » (Ingres) par-delà les aléas de la vie, de découvrir le monde artistique d’une époque et de pénétrer dans les méandres de la création. On sait la fascination d’Ingres pour le dessin et sa place face à Delacroix dans l’opposition immémoriale entre dessin et couleur, violemment réactivée au XIXe siècle : ses portraits de la famille Marcotte en particulier montrent assez comment la ligne de graphite découpe la figure humaine sur la blancheur du papier et l’isole ainsi du reste du monde tout en prenant de plus en plus d’importance et d’autonomie. Elle se dilate, se déploie pour elle-même et va jusqu’à causer la difformité des corps si souvent reprochée à Ingres. Pour conclure ce voyage dans le temps, l’Ecole des Beaux-Arts expose une partie de ses fonds de dessins du XVIIe siècle, provenant de l’Académie royale de peinture et de sculpture ainsi que de donations faites par d’anciens élèves et des collectionneurs entre 1869 et 1987. L’exposition s’inscrit dans la politique de mise en valeur du patrimoine de l’Ecole et permet de rappeler le type d’enseignement qu’elle dispensait. Cet ensemble de dessins frappe par le nombre et la valeur des artistes représentés (Mellan, Stella, Vouet, Le Lorrain, Poussin, Le Sueur, Le Brun, Van der Meulen entre autres), autant que par la variété des œuvres exposées. La sélection permet en effet de prendre la mesure des infinies destinations des arts graphiques : études d’après nature ou d’après l’antique souvent rapportées de Rome et servant à la fois d’exercices et de répertoires de motifs ; études préparatoires pour des gravures et des tableaux où s’élaborent progressivement le sujet et la composition ; projets de grands décors peints, de tapisseries, de décors de fêtes ou de cérémonies. Le spectre des sujets est également très étendu : scènes religieuses, allégories, portraits ou encore paysages, la préférence d’un artiste pour l’un ou l’autre genre permettant d’éclairer sa démarche et sa production picturale. Les dessins revêtent eux-mêmes de multiples aspects suivant la technique employée et leur degré d’achèvement : noirs du fusain, rouges de la garance, blancs de la craie, densité et précision des traits d’encre, fluidité des lavis. Les études d’architecture où le trait incisif et sûr relève les moindres détails décoratifs voisinent avec les croquis. Ici, en quelques traits, sont déterminés positions, gestes et composition avec une liberté et une maîtrise étonnantes. On hésite ainsi entre l’extrême minutie et la virtuosité désarmante, en même temps que les œuvres s’imposent comme de véritables laboratoires de la création, moments de cristallisation et traces de la pensée en actes combinant la fragilité de la recherche avec l’assurance de la technique. Moins imposants et moins éloquents que les tableaux achevés, matériellement plus légers, les dessins suscitent une émotion bien différente, celle du surgissement d’une image. Au rez-de-chaussée, d’actuels élèves de l’Ecole des Beaux-Arts exposent leurs « dessins en cours », traces de leur œuvre en gestation, à découvrir pour revenir au présent, clore ce voyage sur papier à travers le temps et mesurer l’évolution de la conception du dessin depuis le XVIIe siècle.
PARIS, Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts, 16 janvier-31 mars et Institut néerlandais, 22 février-1er avril.
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Le dessin traverse le temps
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°524 du 1 mars 2001, avec le titre suivant : Le dessin traverse le temps