Confronter un tableau et sa copie est toujours riche d’enseignements, surtout quand modèle et copiste se nomment respectivement Titien et Rubens. Ce rêve d’amateur, le Musée Isabella Stewart Gardner l’a concrétisé en rassemblant les deux versions de L’Enlèvement d’Europe, l’originale du Vénitien et la réplique du Flamand.
NEW YORK. L’Enlèvement d’Europe de Titien – désormais intitulé de façon plus “politiquement correcte” et pudique Europe – est certainement l’un des plus beaux tableaux du Musée Isabella Stewart Gardner à Boston. Il fait partie des sept grandes toiles mythologiques exécutées pour Philippe II d’Espagne entre 1550 et 1562, aujourd’hui dispersées entre Madrid, Londres et Édimbourg. Après un passage dans la légendaire collection d’Orléans, ce tableau, vendu par Lord Darnley à Isabella Stewart Gardner en 1897 pour la somme record de 20 500 livres sterling, a été la première œuvre de Titien à entrer dans une collection américaine. Mais pendant des décennies, les visiteurs du musée ont été frustrés, Isabella Stewart Gardner ayant insisté pour que le tableau soit accroché en hauteur et faiblement éclairé. Combien d’entre eux ont rêvé d’une échelle et d’un rayon de lumière pour que leur soit pleinement révélée sa beauté ? Le temps d’une exposition, tout le monde pourra en profiter. Encouragé par le succès inattendu de la petite exposition “Botticelli à Boston”, le musée présente L’Enlèvement d’Europe de Titien accompagné de la copie grandeur nature qu’a exécutée Pierre Paul Rubens en 1628, prêtée par le Musée du Prado. Pour la première fois en 300 ans, ces deux œuvres sont réunies. Le visiteur pourra ainsi les comparer et admirer en outre trois portraits de puissants commanditaires brossés par les deux maîtres : Francesco Maria della Rovere, duc d’Urbino de Titien, conservé aux Offices à Florence, et Thomas Howard, comte d’Arundel de Rubens, appartenant au Gardner Museum, avec son dessin préparatoire provenant du Clark Art Institute de Williamstown.
Un véritable culte
Depuis son premier séjour en Italie (1600-1608), Rubens vouait un véritable culte à Titien. Sa mission diplomatique à Madrid, en 1628, lui avait permis de redécouvrir l’œuvre du maître vénitien. Berenson raconte même qu’il “faillit devenir fou d’admiration” en découvrant Europe dans les collections royales espagnoles, ébloui par la silhouette de la nymphe émergeant des flots et montant, la tunique trempée, sur le taureau blanc qui regarde le spectateur avec l’œil sagace de Zeus. Il a réalisé plusieurs copies d’après Titien, notamment Adam et Ève, dont l’original a disparu dans un incendie, et ainsi mieux assimilé le style vénitien. Sous cette influence, sa palette se fait plus chaude, sa peinture plus sensuelle et s’esquisse sa dernière manière, empreinte d’hédonisme.
TITIEN ET RUBENS : POUVOIR, POLITIQUE ET STYLE, 20 janvier-26 avril, Isabella Stewart Gardner Museum, 280 The Fenway, Boston, tél. 1 617 566 1401, tlj sauf lundi 11h-17h.
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Le dédoublement d’Europe
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°52 du 16 janvier 1998, avec le titre suivant : Le dédoublement d’Europe