Photographie

Le Cpif cultive ses « mauvaises herbes ! »

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 27 mars 2023 - 677 mots

Le Centre photographique d’Ile-de-France, 30 ans en 2023, invite à un regard renouvelé sur les plantes sauvages en milieu urbain, et au-delà.

Pontault-Combault (Seine-et-Marne). En 1993, le Centre photographique d’Île-de-France (CPIF) s’installait dans la graineterie d’une ancienne ferme briarde de Pontault-Combault. Quatre ans après sa création par Richard Fournet, il se dotait d’un espace d’exposition d’une surface de 380 m2 à l’accès gratuit, grâce au soutien des pouvoirs publics. Trente ans plus tard, le CPIF, toujours soutenu par ces partenaires d’origine, marque cet anniversaire avec « Mauvaises herbes ! » – « titre clin d’œil à l’ancienne activité du lieu et aux plantes sauvages ou adventices qui poussent obstinément et librement, hors cadre et objectif de rentabilité ou de productivité », souligne Nathalie Giraudeau, directrice du Centre depuis 2005 et co-commissaire de cette exposition collective avec Luce Lebart, historienne de la photo et commissaire indépendante.

La métaphore colle effectivement bien à l’établissement situé dans une ville de 38 370 habitants en périphérie de Paris et labellisé en 2019 « Centre d’art contemporain d’intérêt national », au regard du travail mené sur le plan de la médiation comme de son programme de résidences et d’expositions monographiques ou thématiques, mêlant jeunes artistes et carrières confirmées, issus pour la plupart de la scène française. « Le centre profite de sa position interstitielle pour explorer des préoccupations intersectionnelles, et prêter attention à ce qui échappe parfois au système de valeurs dominant en contribuant à en faire reconnaître l’intérêt, voire la nécessité », relevait la directrice lors de l’inauguration de « Mauvaises herbes ! ». Le contenu de cette exposition « manifeste » l’exprime on ne peut mieux, même si on peut regretter que certains travaux n’aient pu être montrés plus largement.

Espèces envahissantes et fleur gracile

Le sujet, sous couvert d’un titre provocateur, recouvre au final de multiples aspects et autant d’interprétations différentes. « Car il n’y a pas de mauvaises herbes, pas plus que de mauvaises personnes ou de mauvais usages. Il n’y a que la manière dont on les regarde et les envisage qui leur donne de la valeur », souligne Luce Lebart. L’intérêt porté par l’artiste Simon Boudvin pendant plus de dix ans au développement de l’ailante dans divers endroits de l’Est parisien est particulièrement éloquent en la matière : cette espèce envahissante apporte une bouffée de verdure aux immeubles d’habitation ou de bureaux au pied desquels il pousse et dont il suit la croissance. C’est un autre type de plante à la mauvaise réputation auquel s’attachent Nelly Monnier et Éric Tabuchi dans « Camouflage », une série de photographies de lierre proliférant sur des ruines ou constructions abandonnées jusqu’à les recouvrir entièrement et créer d’étranges sculptures végétales. Quant à la fleur gracile saisie par Véronique Ellena à un rond-point, son rose délicat est un concentré de merveilleux que les glaneuses et glaneurs de plantes sauvages suivis par Geoffroy Mathieu reconnaîtront. L’artiste péruvien Pepe Atocha interprête, lui, ce que le mouvement des insectes engendre pour la flore sauvage de l’Amazonie, dans des métaphores aussi belles que les portraits de plantes amazoniques hallucinogènes de Smith.

La friche comme espace symbole de luttes trouve tout autant ses porte-voix avec Jürgen Nefzger, Bruno Serralongue ou Édith Roux, présents au travers d’extraits de séries emblématiques sur le sujet. Ainsi Serralongue présente-t-il un dialogue inédit et remarquable entre son travail sur les plantes de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) mené avec des botanistes et celui entrepris à Calais sur les traces des migrants dans les taillis.

Dans leur choix de travaux récents, et pour certains toujours en cours, les commissaires ont pris soin de mixer des générations et des approches différentes. L’œuvre la plus singulière est à coup sûr Photosynthèse de Lia Giraud, qui a collaboré avec des biologistes pour cette installation sur la pollution de l’eau et l’introduction de micro-algues dépolluantes mais invasives. Mais aussi les trois photographies issues de la série « Le regard durable » de Kristof Vrancken : un travail sur les forêts dévastées par la maladie du pin et reboisées avec des arbustes à baies importés des États-Unis, photos dont les tirages ont été réalisés à l’aide d’une émulsion de baies provenant de ces mêmes arbustes.

Mauvaise herbes !,
jusqu’au 7 mai, Centre Photographique d’Ile-de-France, 107, av. de la République, 77340 Pontault-Combault.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°607 du 17 mars 2023, avec le titre suivant : Le Cpif cultive ses « mauvaises herbes ! »

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